Dihydrure de magnésium : ère nouvelle pour le renouvelable ?

Mon professeur de physique à l'ÉPUL (École Polytechnique de l'Université de Lausanne) me disait dans les années 50 que l’hydrogène serait un jour la solution d’avenir pour tout ce qui concerne l’énergie. Éclairage, chauffage, transports publics, voitures, camions, bateaux, avions, il voyait ce gaz, le plus commun dans l’univers et fantastique vecteur d’énergie, déjà distribué dans les maisons à la place des prises électriques. Un demi-siècle est largement passé, et le pétrole, qu’il détestait pour des raisons de pollution, est toujours la source d’énergie numéro un. Le gros avantage de l’hydrogène sur toutes les autres formes d’énergie, et plus que jamais dans la conjoncture écologique actuelle, est de fournir de l’énergie sans aucun dégagement de CO2 ni de résidus polluants, vu que sa combustion avec l’oxygène produit de l’eau pure.

Il est vrai que l’hydrogène n’est pas d’une utilisation facile. Le grand problème est son stockage : la solution classique consiste à le comprimer à une pression de 350, voire 700 bars. Donc 700 fois la pression atmosphérique. Ou cent fois la pression d’une bouteille Perrier lorsque vous l’oubliez au soleil. On imagine la catastrophe si une bonbonne dans laquelle chaque centimètre carré de paroi est soumis à une force de 700 kg (soit 7000 tonnes par m2 !) vient à exploser. De plus, l’hydrogène qui s’échappe se transforme, au contact de l’air et de la moindre étincelle (un frottement de vêtement suffit), en boule de feu. Pas rassurant non plus. Peu de conducteurs ont envie d’avoir une telle bombe incendiaire dans leur équipage.

Autre problème avec l’hydrogène : sa fabrication. Il était jusqu’ici pour la plus grande part obtenu à partir d’autres gaz ou carburants soumis à de hautes températures, mais au prix d’un fort dégagement de CO2. L’enjeu est aujourd’hui de l’obtenir directement à partir des molécules d’eau et non de molécules contenant du carbone. Deux principales solutions : la chaleur, et l’électrolyse.

Une centrale solaire dite thermodynamique concentre à l’aide de miroirs mobiles les rayons du soleil sur une cible permettant de chauffer de l’eau. Arrivée à 1000°C, les molécules d’eau H2O sont agitées au point de se scinder en hydrogène et en oxygène. Il est toutefois difficile d’obtenir des températures si hautes de manière régulière. La plupart des centrales atteignent 7 à 800°C, ce qui suffit pour envoyer de la vapeur d’eau sous haute pression dans des turbines et fabriquer de l’électricité. Mais pas pour dissocier directement les molécules d’eau. Cela ne résout donc pas le problème du stockage de l’énergie.

Le choses pourraient toutefois changer dans un avenir proche. Des recherches, encore peu diffusées, ont permis d’améliorer informatiquement l’orientation des miroirs et promettent d’atteindre une température de 1500°C. Du jamais vu qui ouvre la porte toute grande à la production d’hydrogène vert. Gros avantage : l’énergie peut être stockée en-dehors des périodes d’ensoleillement, soit sur place dans des citernes adéquates, soit transportée à l’aide de pipeline ou de bonbonnes, ou de camions citernes spécialement équipés pour les très hautes pressions.

L’électrolyse de l’eau est elle aussi appelée à un grand progrès : des chercheurs ont réussi à mettre au point une pile à combustible transformant l’énergie électrique en énergie chimique sous forme d’hydrogène avec un rendement de 98 % ! Il ne reste qu’à espérer que l’industrialisation de leur invention, avec les inévitables compromis qu’exigent les grands nombres, ne réduise pas ce chiffre. Et surtout que cette industrialisation se réalise sans tarder. Ce sera un grand point pour le renouvelable : finis les soucis de production irrégulière. Toute l’énergie produite par les éoliennes ou les panneaux solaires, notamment pendant les périodes de haute production et de basse consommation, pourra se stocker sous forme de gaz pratiquement sans déperdition.

Reste le problème épineux du stockage de l’hydrogène lui-même. La compression et la conservation à très haute pression exige des performances technologiques qui les rendront toujours problématiques. Installations de mise sous pression, danger d’explosion lors des transports, place perdue dans les véhicules, poids des cuves. De grosses complications aussi pour le conserver sous forme liquide à basse pression, ce qui n’est possible qu’à des températures proches du zéro absolu (21°Kelvin) et gaspille beaucoup d’énergie pour la production du froid.

Quelques chiffres pour savoir où on en est : un litre d’hydrogène à pression ambiante pèse 0,09 g. S’il est comprimé à 700 bars (pression supportée par les meilleures cuves), un litre pèse environt 42 grammes. Une cuve à haute pression de 100 litres ne contient donc au mieux que 42 g/l x 100 l = 4,2 kg d’hydrogène, et pèse elle-même autour de 20 fois le poids du gaz. Sachant que 1kg d’hydrogène équivaut à 2,8 kg d’essence, la même cuve de 100 litres livrera la même énergie que 18 kg d’essence, celle-ci occupant un volume de 24 litres. L'hydrogène occupe donc 4 fois plus de volume que les carburants liquides et représente en gros 4 fois plus de poids si l’on compte le poids de la cuve à hydrogène et du réservoir à essence. Pas fameux.

À cela, il faut opposer le rendement d’une pile à combustible couplée à des moteurs électriques, de l’ordre de 50 %, certainement améliorable, alors que les meilleurs moteurs thermiques ont un rendement de l’ordre de 35%, voire de 22% si l’on compte des pertes par frottement jusqu’à la transmission à la roue et les variations de rendement du moteur (http://sfp.in2p3.fr/Debat/debat_energie/websfp/Livet-elect.htm). L’hydrogène comprimé reste donc autour de 2 fois plus encombrant en volume que l’essence et 2 fois plus lourd. Il pourrait y avoir amélioration avec des cuves en matériaux composite résistant à de très hautes pressions et plus légers que l'acier. Mais il reste que l'idée d'une «bombe à hydrogène» dans le coffre de la voiture ou sous le siège arrière a de quoi décourager les amateurs. Tout cela était de nature à freiner le développement de la filière hydrogène.

« Était », car une nouvelle technologie s’est développée dans l’ombre et vient depuis peu de se faire connaître : la galette de dihydrure de magnésium ou H2Mg. Ce qu’on espérait réaliser avec des nanostructures de carbone (fullarène) ou autres semble se réaliser en beaucoup mieux avec le magnésium, métal abondant sur terre, inoffensif, peu coûteux et parfaitement recyclable. L’invention consiste à répartir le magnésium en micropaillettes, selon un brevet encore non divulgué, mélangé à certaines proportions de métaux qui agissent comme catalyseurs, et à du graphite pour faciliter le refroidissement. On moule le tout sous forme de galettes empilables. Le procédé permet de retenir une quantité notoire  d’hydrogène : 2g pout 26 grammes de magnésium, avec plusieurs énormes avantages.

Les chiffres ont pu faire rêver les partisans de la filière : selon le compte rendu d'un reportage d’ARTE, une unité de 25 kg de dihydrure de magnésium (voir l'image) aurait été capable de fournir 830 kWh. De quoi rouler théoriquement jusqu’à 8000 kilomètres sans recharge ! (https://www.ecosources.info/innovations/394-galette-de-stockage-d-hydrogene-solide-mcphy).

Malheureusement, ces performances mirobolantes résultent d’un confusion grossière entre les 25 kg de galettes et la masse d’hydrogène disponible, qui n’est que de 2 kg environ. La production en électricité est en réalité de 64 kWh. Sachant que la consommation d’une voiture électrique ordinaire est de l’ordre de 15 kWh, on pourrait compter sur une autonomie de quelque 400 km. Avec 50 kg de galettes, on aurait ainsi une autonomie de 800 km, voire 1000 km vu que le poids des batteries au lithium pénalise lourdement l'électrique ordinaire.

À quoi s’ajoutent bien d’autres avantages : Le dihydrure de magnésium n’est pas inflammable : on peut attaquer une galette avec un chalumeau, elle rougit mais ne brûle pas et l’hydrogène retenu n’explose pas. Il est donc de loin plus sécuritaire qu’un réservoir d’essence. La pression nécessaire pour charger la galette en hydrogène n’est que de dix bars, et la pression de restitution de 2 bars. Donc pas de risque important d’explosion ni du côté voiture, ni du côté station service. Aussi moins de perte d’énergie pour la compression du gaz. La charge promet de se faire très rapidement : temps comparable à un plein d'essence pour un même kilométrage.

Un inconvénient : les galettes doivent être chauffées à 300°C pour libérer l’hydrogène. C’est sur ce point notamment que portent les brevets : il a fallu trouver un système de stockage de la chaleur pour éviter des pertes d’énergie et permettre un apport rapide de chaleur en fonction des besoins hautement variables de la pile à combustible. L’astuce a consisté à utiliser un matériau à changement de phase. Tout comme l’eau qui libère des calories lorsqu’elle se transforme en glace, ce matériau restitue les calories emmagasinées en se solidifiant, mais ici, en passant de l’état liquide à l’état solide à une température de 300°C.

Autre perspective majeure que pourrait augurer le dihydrure de magnésium : stocker à faible coût et avec très peu de pertes l’énergie fournie par l’éolien ou le solaire lors des pointes de production, et donc passer au tout renouvelable dans de bien meilleures conditions que ne le permettent les méthodes actuelles. Le magnésium pourrait bien être le roi de l’après-pétrole…

Reste à attendre le temps nécessaire pour l’industrialisation. Les choses pourraient aller plus vite qu’on ne le pense : les enjeux économiques sont tels que les investisseurs n’hésiteront pas. Et quand il y a de l’argent, les chercheurs s'activent aux quatre coins de la planète. La Chine, les États-Unis sont déjà sur le coup. Mon petit doigt me dit que les premières voitures à galettes de H2Mg seront en vente d’ici peut-être 5 ans. Un peu plus pour que les prix deviennent abordables. Ce sera un grand pas dans la lutte contre la pollution.

Pour les écolos purs et durs, mieux vaudrait que le monde entier renonce à la voiture et au camion. Mais là, on risque de devoir attendre plutôt 5 siècles...