Indécrottable homophobie...

Il faut voir la réalité en face : l’homophobie est loin de s’être volatilisée. Malgré tout ce qui a été entrepris depuis des décennies, elle traverse encore les ombres de notre société libérale.

C’est pourtant en 1974 déjà – cela fait deux générations – que la puissante Association Américaine de Psychiatrie décidait de rayer l'homosexualité de la liste des pathologies. En 1982, le DSM, grand répertoire des maladies psychiatriques, la faisait même passer de la paraphilie à la normalité. Ces réhabilitations officielles n’ont pourtant pas suffi pour convaincre tout le monde. Ni même son accession aux mairies à travers le PACS, puis le mariage gay.

En mai dernier, l’association SOS Homophobie relatait tristement les statistiques : le nombre d’actes homophobes répertoriés n’a fait que croître ces dernières années. Au point qu’on peut penser que les lois contre la discrimination ont eu l’effet opposé à celui que l’on attendait (peu probable que ce ne soit dû qu’à une augmentation du taux de dénonciations). S’agit-il de simples relents des objurgations anciennes, d’un sursaut de traditionalisme judéo-chrétien, ou plutôt d’une formation réactionnelle, c’est-à-dire d’une compulsion tendant à dénoncer quelque chose que l’inconscient ressent comme faux et qu’on est incapable de formuler ?

Les racines d'une haine millénaire

Il est évident que des forces anti-homosexuelles traversent l’inconscient, parfois refoulées, parfois actualisées. Ce n’est pas par hasard ou par méchanceté, ni à partir d’une décision délibérée, qu’une phobie - ou plutôt une haine - comme celle-là a pu traverser les millénaires. Elle doit avoir des racines profondes. Dans notre culture judéo-chrétienne, la première verbalisation de l’homophobie remonte à Moïse. Pour la première fois, l’homosexualité était décrite comme une abomination, et vouée à la peine de mort. L’ensemble du monde israélite, chrétien et même islamique, a emboîté le pas.

Je me souviens d’avoir rencontré un prisonnier condamné à quinze ans de réclusion pour avoir avec son frère assassiné deux homosexuels. Alors que je tentais de comprendre ses motivations, de voir s’il regrettait son acte, il m’a tenu un discours digne d’un prophète chargé de mission divine : dès sa sortie de prison, il se remettrait aussitôt à cette noble tâche, animé par des forces d’une extraordinaire authenticité. Non par des préjugés moraux ou culturels, ou par une forme de jalousie ou d’allergie à la différence, ni même par un dégoût viscéral face à des pratiques perverses, mais par quelque chose qui rappelait un sens irréfragable de la vérité, un besoin de purifier l’humanité des infamies qui ternissaient son image et méritaient d’être éradiquées sans appel.

Pure paranoïa que tout cela ? Les choses pourraient être plus complexes qu’il n’y paraît. Littéralement, Moïse condamnait le fait pour deux hommes de copuler «  comme cela se fait entre un homme et une femme ». Derrière cette formule, on peut voir soit la sodomie en tant que pratique sexuelle, donc une simple façon de désigner la pénétration anale, soit une analogie dont la nature reste à préciser entre la pénétration hétérosexuelle et la pénétration homosexuelle. En d’autres termes, cette formulation peut viser ou bien l’acte sodomite en soi, ou bien la transposition de quelque chose qui appartient à la pénétration vaginale sur la pénétration anale.

Nous avons l’habitude en Occident de parler de ces pratiques d’un point de vue purement factuel. Mais ce qui caractérise un acte sexuel, qui en fait la beauté ou la laideur – dirait Platon – c’est beaucoup plus ce que vivent intérieurement les partenaires que la forme extérieure de la relation. Excellent exemple : le viol. Un acte semblable du point de vue anatomique, peut représenter soit l’expression d’un amour partagé et conduire au bonheur, soit un crime abject laissant derrière lui des séquelles irréparables.

Pour comprendre les racines historiques de l’homophobie, il faut se remettre dans l’esprit de l’époque, alors que n’existaient aucun des stéréotypes sexuels qui se sont construits par la suite et nous imprègnent malgré nous. Il est peu probable qu’un Prophète, qui a tout de même vu juste dans bien des domaines, en particulier dans celui de l’asservissement à l’argent (le fameux Veau d’Or), ait fait tout faux en matière d’homosexualité. Il faudrait au moins savoir expliquer les mécanismes psychologiques qui l’ont amené à la condamner au prix d’un autre crime, celui de la mise à mort.

Ce sont sans doute les mêmes mécanismes qui font encore aujourd’hui que l’homophobie ne se laisse pas déraciner, malgré l’évolution des mœurs et les décisions politiques. Il faut bien qu’elle ait des racines profondes et, si ces racines continuent à l’alimenter, c’est sans nul doute parce qu’il n’a pas été possible de les extirper. On ne s’en sortira qu’en analysant de près ce qu’il peut y avoir d’acceptable ou d’inacceptable, de naturel ou de contre nature, dans les relations homosexuelles, ou dans l’image que s’en fait la majorité.

L'homosexualité : dérive perverse ou fonction naturelle ? 

La première évidence, c’est qu’elle ne contribue pas à la survie de l’espèce. Dans la mesure où la sexualité est conçue comme une fonction strictement procréative, l’homosexualité est une aberration. Il faut même parler de perversion au sens propre, c’est-à-dire le détournement d’une fonction naturelle dans un but purement jouissif. C’est là un prolongement incontournable des philosophies des Lumières, héritières de Descartes pour qui l’animal s’expliquait par la machine, avec pour corollaire l’équation « sexe = reproduction », qui explique l’homme par l’animal. Mais est-il raisonnable de ramener la sexualité humaine à la sexualité animale ? Sans compter que des relations homosexuelles s’observent entre de nombreux animaux.

Une seconde évidence est que l’homosexualité a résisté à des millénaires de répression et de moralisation. Ceux-là même qui la réprouvaient la pratiquaient bien souvent dans le secret des alcôves. Encore récemment, les figures les plus célèbres de l’hétérosexualité étaient parfois des homos purs et durs, comme cela s’est avéré suite à l’épidémie de sida. Rock Hudson, vedette macho par excellence, entouré dans toutes ses apparitions publiques par des nuées de jeunes filles aussi séductrices que possible, fut le premier d’une longue série. Aujourd’hui, le coming out est quasiment un objet de culte. Il y a donc de bonnes raisons pour penser que les comportements homosexuels répondent à des pulsions profondément ancrées dans la nature humaine. L’échec des thérapies psychiatriques ou comportementalistes l’a largement confirmé.

Seulement voilà : des pulsions profondément ancrées appartiennent manifestement à la programmation génétique des comportements humains. Et tout ce qui est programmé génétiquement est censé avoir une utilité, pour ne pas dire une finalité. Alors quelle pourrait bien être la finalité des pulsions homosexuelles ?

C’est une question qu’on aurait dû se poser depuis bien longtemps. On s’est contenté de toutes sortes de spéculations, de réprobations, d’admonestations, d’imprécations, de dénégations, de réquisitoires, de sanctions, de tortures, de médicalisations, de psychiatrisations, de quoi y perdre son latin, mais personne ne s’est simplement demandé à quoi pourraient bien servir ces pulsions rétives à toutes les tentatives d’extermination de l’histoire.

Pourtant, la réponse était là, dans les écrits les plus célèbres de Platon, attendant depuis plus de 2000 ans dans l’ombre des bibliothèques et l’obscurité des exégèses. Platon nous fait dire par l’un des philosophes participant au Banquet, Pausanias, qu’il existe deux Éros : un Éros vulgaire, « pandémien », celui de tout le monde, qui a pour but la reproduction et le plaisir, et un Éros uranien, ou Éros céleste (Ouranos était le dieu du ciel), qui permet de faire pousser les ailes de l’âme. L’âme peut alors s’élever au-dessus de la voûte du ciel et contempler les Essences, nourriture des Dieux, grâce à la divination et à l’intuition créatrice, que possèdent les vrais poètes et les prêtres.

Le discours de Platon peut sembler creux à qui considère ces facultés dites aujourd’hui paranormales comme de pures superstitions. C’est ce que l’on trouve dans la plupart des traductions et des commentaires, ou dans les cours classiques de philosophie. J’ai eu pour ma part la chance de vivre des phénomènes paranormaux, en particulier quatre sorties de corps à l’âge de 13 ans, qui m’ont convaincu de la réalité du paranormal, et plus tard, de voir exploser autour de moi les facultés extrasensorielles chez un grand nombre de personnes vivant l’amour en s’approchant justement des règles de cet Éros uranien.

Une chance de plus m’a permis de découvrir en 1977 les deux dialogues de Platon consacrés à l’Éros, le Banquet et le Phèdre, avec une professeur de philosophie spécialiste de ses manuscrits originaux, Marie Raymond, fille du philosophe suisse bien connu Arnold Raymond. Nous avons pu reparcourir et approfondir ces textes en de nombreuses séances, elle disposant d’une connaissance approfondie du grec ancien (je n’en avais fait que trois ans), et moi lui apportant un témoignage sur l’extrasensoriel et son rapport avec l’amour – clé qui lui a, selon son propre aveu, permis pour la première fois de comprendre le véritable message du père de la philosophie.

Des stéréotypes bien accrochés...

Et pourtant, je suis sorti de cette incroyable aventure sans oser encore imaginer que l’homosexualité pouvait reposer sur des pulsions naturelles. Les images des premières gay-prides, celles des sado-masochistes, ou de la Cage aux Folles me laissaient un malaise irrépressible. Comme d’une sorte d’imposture, d’égarement qui ne s’expliquait pas par une simple quête d’identité ou de reconnaissance sociale. Le spectacle ne rejoignait aucunement les descriptions de Platon, ni ce que j’avais vécu moi-même dans mon enfance et jusqu’à mon mariage. Je me contentai de penser que l’homosexualité résultait d’une sorte de transposition constitutionnelle des pulsions hétérosexuelles naturelles sur un partenaire de même sexe. À l’époque, les stéréotypes de perversion étaient encore à l’ordre du jour.

Il m’a fallu un long cheminement, et peut-être les changements de morale intervenus suite aux tribulations psychiatriques, pour reprendre le problème à la base. Au lieu de considérer les pulsions homosexuelles comme une particularité, une différence due à l’on ne sait quelle cause génétique ou éducationnelle, reconnaître que chaque individu naît avec les deux polarités, chose que Freud enseignait depuis des lustres sous l’égide d’une bisexualité fondamentale. Les homosexuels étaient alors ceux chez qui les pulsions hétérosexuelles n’étaient pas parvenues à s’exprimer, et les hétéros ceux chez qui les pulsions homos n’y étaient pas parvenues non plus. Alors que l’état normal voulait que les deux classes de pulsions s’expriment chez chacun.

C’était un pas de plus, mais qui n’expliquait pas pourquoi tant de couples, notamment hétéros, finissaient dans l’ennui sexuel, dans les disputes et dans les divorces, en passant souvent par l’adultère, les crises de jalousie, la dépression, l’alcool. Étrange chose aussi que les femmes se sentent souvent plus attirées par des homosexuels, du moins lorsqu’elles ignorent la polarité du partenaire potentiel. Je dus aussi constater, à ma grande surprise, que l’on trouve beaucoup plus d’homosexuels que d’hétérosexuels chez les artistes, les créateurs, les poètes, les chansonniers, les cinéastes, etc. Fallait-il prendre Platon à la lettre et admettre que l’Éros uranien était inaccessible à ceux qui aiment les femmes ? Rien de tout cela n’expliquait l’indécrottable homophobie qui marque notre histoire depuis des millénaires.

Le problème avait pourtant une solution : postuler qu’il existe chez l’être humain deux fonctions sexuelles a priori indépendantes, comme le décrivait Freud. L’une apparaissant à la puberté et visant la procréation, l’autre à la naissance et visant non pas au gain de plaisir comme l’affirmait le père de la psychanalyse, mais au gain d’une énergie métapsychique chargée de développer les facultés extrasensorielles. Et pourquoi Freud n’y avait-il pas pensé ? Tout simplement parce qu’il niait à priori l’existence du paranormal.

Ce simple postulat change radicalement la donne. Tout comme en mathématiques, lorsqu’on trouve la clé d’un problème, les raisonnements et les calculs se simplifient comme par enchantement, toutes les contradictions et indéterminations se volatilisent, et l’on se demande pourquoi l’on n’a pas vu la solution tout de suite. Ici, la liste des points qui se simplifient ou s’expliquent est longue.

Changement d'équation ?

Aussi longtemps que l’on en reste à l’équation « sexe = reproduction », l’homosexualité ne trouve guère d’explication logique. Elle apparaît comme une déviation ou une paraphrase de l’instinct naturel. Mais si l’on pose qu’il existe deux fonctions, répondant respectivement aux équations « sexe = procréation » et « sexe = énergie métapsychique », elle trouve immédiatement sa place dans la seconde. L’homosexualité aurait donc une fonction non pas biologique, censée assouvir des besoins organiques ou favoriser des décharges de dopamine, mais celle de source d’énergie métapsychique. Elle apparaît alors comme parfaitement naturelle, dans la mesure où l’accès au paranormal appartient à la nature humaine.

Si notre postulat tient la route, les contradictions et questions sans réponse qui s’y rapportent devraient se résoudre. Par exemple : pourquoi tant d’artistes, de créateurs sont-ils homosexuels ? Tout simplement parce que leur forme de sexualité leur permet d’accéder à une énergie subtile qui nourrit leur intuition créatrice. Nombreux sont ceux qui disent créer à partir de visions ou de rêves, et non à partir de spéculations intellectuelles. Voilà qui pourrait amener à distinguer entre de vrais artistes, œuvrant à partir de l’intuition créatrice, et d’autres qui procèdent par voie spéculative, telle l’imitation, le brassage d’idées, l’envie de plaire, le snobisme, le désir de gloire.

Deuxième question : pourquoi les femmes sont-elles souvent plus fascinées par les homosexuels que par les hétérosexuels ? Vu qu’il y a deux formes d’amour, il faut d’emblée distinguer entre deux formes d’attraction, l’une qui conduit à la reproduction et à la formation d’une famille, et l’autre à un apport d’énergie. Dans le premier cas, la femme sera attirée par les hommes les plus virils, bien baraqués, qui lui garantissent des spermatozoïdes de qualité ; dans le second par des hommes capables de lui transmettre une énergie métapsychique, dont elles pressentent la présence préférentiellement chez les homosexuels.

Troisième exemple : pourquoi tant d’adolescents qui vivent leur « première fois » sur le mode du « coït normal » en sortent-ils souvent déçus ? Parce que le coït appartient essentiellement à la fonction procréative, et qu’ils n’auront pu y trouver l’énergie à laquelle ils aspirent inconsciemment. C’est en fait leur attente qui est juste, l’amour qu’ils espèrent préfigure la fonction métapsychique avec sa dimension magique. Alors que la réalisation physique à laquelle ils croient devoir se conformer est fallacieuse. Bien que rationnellement correcte, elle appartient à la fonction biologique de reproduction, du moins dans la façon dont ils la mettent en pratique.

On comprend aussi pourquoi la psychanalyse a dû reconnaître dans la bisexualité une caractéristique fondamentale de la sexualité humaine. Les deux polarités ont leurs significations respectives : d’une part assurer la survie de l’espèce, d’autre part assurer l’apport d’énergie métapsychique dans les différentes situations et rencontres qui peuvent se présenter. Cette fonction dépasse la polarité sexuelle, c’est-à-dire qu’elle doit se manifester indépendamment du genre.

Autre mystère encore qui s’explique immédiatement : pourquoi les facultés paranormales sont-elles si rares dans notre société alors  ? Tout bêtement parce que la morale dominante interdit la libre expression des pulsions censées les développer. Ces pulsions apparaissent malheureusement très tôt et constituent ce que Freud a nommé le complexe d’Œdipe, sans en comprendre la fonction métapsychique. L’œdipe refoulé signe donc l’échec du développement métapsychique, en même temps que la désintégration de la bisexualité.

Lse mécanismes d'une cruelle méprise

Et pour revenir au sujet du jour : l’homophobie. Trois axes majeurs se dessinent d’emblée. Une population dans laquelle la fonction transcendante de l’amour a été perdue de vue ne peut en aucun cas comprendre la véritable raison d’être de l’homosexualité. Du coup, celle-ci apparaît comme une bizarrerie, un non-sens, un dévoiement de l’instinct sexuel. C’est vraisemblablement ce qui s’est produit lorsque Moïse lui lançait son impitoyable anathème. Si l’on admet que la Chute représente la perte de la dimension métapsychique de l’amour, on comprend qu’elle ait été de plus en plus perçue comme une pure perversion.

Deuxièmement, les hétérosexuels stricts, qui constituent la majorité de la population, sont privés de l’accès à l’énergie métapsychique dont ils pressentent qu’une autre forme de sexualité est la voie privilégiée. On comprend qu’ils en éprouvent inconsciemment un sentiment de frustration et de jalousie face à ceux qui en disposent encore. La situation ne pouvant être verbalisée, du fait de l’ignorance de la fonction transcendante de l’amour, ces forces peuvent prendre un caractère compulsionnel et alimenter une haine viscérale.

Mais la racine principale de l’homophobie pourrait relever encore d’un autre aspect : dans une société qui a perdu de vue l’existence d’une dimension transcendante de la réalité et le rôle de l’amour en tant que voie d’accès, les homosexuels eux-mêmes peuvent avoir tendance à déchiffrer leurs pulsions sur un mode dépourvu de cette dimension. C’est-à-dire à chercher le plaisir pour le plaisir et gâcher cette fonction subtile, par exemple à chercher leur identité dans l’imitation du couple hétérosexuel parce que celui-ci est reconnu comme normal. Platon rangeait d’ailleurs dans l’Éros pandémien non seulement les hétérosexuels, mais également les homosexuels qui ne cherchent que le plaisir et non la dimension spirituelle de l’amour.

Ainsi s’explique que bien des « gays » se croient devoir jouer la féminité, se peindre les ongles ou prendre des allures de vamps. Ou encore se travestir et jouer aux drag-queens. Ces images de l’homosexualité seront alors perçues par les autres comme le signe d’une anomalie, ils ressentiront un malaise indéfinissable dont la substance est l’échec de l’homosexualité dans sa fonction métapsychique, mais qu’ils rationaliseront sous forme de haine pour la différence.

Platon considérait les érastes et les éromènes comme les seuls individus véritablement virils et capables de diriger les états. Voilà qui va tout à l’encontre de l’image que nous avons aujourd’hui des « pédés ». Pour nous, « homosexuel = efféminé » alors que pour Platon « homosexualité = vraie virilité ». Une telle assertion de la part d’un philosophe, qui se situe au fondement de notre culture et a tout de même droit au chapitre, ne peut s’expliquer que par un décalage complet entre ce qu’il appelait l’Éros uranien et ce qu’évoque aujourd’hui pour nous la notion d’homosexualité.

Deux formes antinomiques d'homosexualité

En définitive, il faut distinguer deux formes d’homosexualité : celle qui est une source d’énergie métapsychique et se vit dans une aura de magie amoureuse, ce qui lui garantit retenue, discrétion, créativité et accès à l’extrasensoriel ; et celle qui est une imitation de la relation hétérosexuelle, ne visant qu’au plaisir sexuel faute de pouvoir viser à la reproduction de l’espèce.

La seconde suscite un malaise chez les homosexuels eux-mêmes, car ils sentent en profondeur qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchent instinctivement, malaise contre lequel ils réagissent en cherchant leur identité dans l’imitation du couple hétéro. D’où un malaise redoublé chez les hétéros, qui sentent eux aussi qu’il leur manque quelque chose, dont cette homosexualité leur renvoie la caricature, et qui finissent par faire des homos les boucs émissaires de leurs propres angoisses d’échec métapsychique, d’autant plus que l’homosexualité n’a pas d’explication logique dans une société qui a perdu le paranormal depuis des lustres

À cela s’ajoute encore un facteur psychanalytique : le dégoût pour le même sexe. Pour reprendre la première approche de Freud, le garçon qui tombe amoureux de sa mère ressent son père comme un rival, d’où l’image du « père interdicteur » qui s’installe dans ses structures psychosexuelles et devient l’objet de fantasmes de meurtre. Ainsi peut s’expliquer une haine irrépressible pour le sexe masculin en soi, qui provoquera blocage, dégoût, et agressivité. L’idée même d’amour entre deux hommes s’en trouve définitivement compromise et source de pulsions agressives : tuer les homosexuels est un peu tuer le père. Cette composante s’ajoute aux mécanismes décrits plus haut.

Comme nous le voyons, la grille de déchiffrage de l’homophobie n’est pas simple. Elle explique toutefois pourquoi le mariage gay est ressenti à la fois comme un acte de justice, et comme une ineptie. Une ineptie parce que l’Éros uranien n’a rien à voir avec le mariage conçu comme havre de procréation, et un acte de justice parce que l’on pressent quelque part que l’homosexualité mériterait un statut de respect pour la noblesse de ce que devrait être son but. Plus encore une haine du fait qu’elle n’accomplit par réellement sa mission. Il n’est donc pas étonnant que le mariage gay, qui signe la confusion générale entre les deux fonctions de l’amour, suscite des réactions violentes, sources renouvelées d’homophobie, alors même qu’il s’inscrit dans la lutte contre les discriminations.

Rappelons encore que la dichotomie entre homosexualité et hétérosexualité n’est qu’une invention récente. Jusqu’au XVIIIe siècle, personne ne s’étonnait qu’un roi puisse priser à la fois des favorites et des favoris. Il est possible que l’on se soit mis à distinguer les deux polarités comme étant incompatibles après que la phobie masturbatoire, implantée autour de 1750, a fait naître des sentiments de culpabilité et des inhibitions sexuelles sans précédent.

L’aggravation du degré d’inhibition se traduit en effet par une sectorisation des pulsions : l’individu se contente des rares possibilités sexuelles qu’il parvient à découvrir, se fixe sur les premières expériences qui lui permettent d’écouler sa libido, et se heurte à un tel niveau de blocage intérieur qu’il renonce à chercher plus loin et préfère s’en contenter, avec le conditionnement qui résulte des expériences répétées sur le même mode relationnel. Il reste alors soit hétérosexuel, par exemple si son dépucelage s’est produit dans une relation hétéro, soit homosexuel dans le cas contraire. Alors que sans ces blocages induits par la morale répressive, il découvrirait au fil de sa vie toutes les possibilités émotionnelles et sexuelles appartenant à la nature humaine. Le paradigme dominant, qui valorise l’unisexualité, l’enferme encore davantage dans ce dilemme. Sans compter l’accrochage (frayage induit par les excitants alimentaires), qui vient encore creuser les ornières. Finalement, la bisexualité, qui devrait aller de soi, apparaît comme une exception et soulève l’étonnement.

Notons tout de même que l’homophobie a existé bien avant notre ère moderne, mais il s’agissait de punir un comportement devenu incompréhensible, et non un individu marqué par une tare. Il est clair que la psychiatrie a fait de l’homosexualité une pathologie, donc une tare individuelle, qui s’est finalement avérée inguérissable. Ce en quoi elle s’est faite la complice pseudo-scientifique de quelques millénaires d’homophobie viscérale d’inspiration judéo-chrétienne...