Le chaud et le froid

La parole à une habituée de cette page qui préfère rester anonyme :

« Peut être est-ce notre climat froid qui pousse les gens à cuire la nourriture, même ceux qui veulent arrêter la cuisine ? Manger du concombre dans la jungle doit être beaucoup plus agréable qu’en France au mois de février par exemple…»

Je me posais aussi cette question dans les années 1970. Je ne comprenais pas pourquoi il était si difficile, même pour ceux qui avaient faite leur la logique incontournable de l’instincto, de la mettre en pratique.

Manger froid demande au corps de fournir les calories pour réchauffer l’aliment à 37°C. Alors qu’un aliment consommé à 40°C en apporte quelques unes. Il y a donc là une perte énergétique, que les partisans du cuit ne manquent pas de mettre en avant. Je l’ai encore entendu tout récemment sur une cassette Youtube.

Mais regardons les choses de près : manger 1kg d’aliment, pour un différentiel de température de 25°C, représente 25 Calories. Un kilogramme de fruits en représente grosso modo 500. Le gain apporté par l’aliment chaud est donc de l’ordre de 25/500 soit 5 %. C’est donc minime sinon négligeable, vite compensé par un rayon de soleil ou de radiateur d’appartement. Et ce calcul ne prend pas en compte une éventuelle différence en terme de rendement métabolique.

Sainte prédigestion, vraiment ?

Contrairement à ce qu’enseignent la plupart des nutritionnistes, l’expérience montre que la l’assimilation des aliments crus – consommés dans les limites des besoins et du potentiel métabolique de l’organisme – est nettement plus facile qu’avec les aliments cuits. Les nutritionnistes se basent sur le principe de la prédigestion, arguant que les grandes molécules cassées par la chaleur n’ont plus à être découpées par les enzymes digestives. Mais négligent les complications biochimiques provoquées par les molécules dénaturées sous l’effet de la cuisson.

Il est d’ailleurs étonnant qu’à l’heure où les AGE ont été découverts, et sont maintenant connus de tous les diététiciens et d’une partie du public, il n’en soit toujours pas tenu compte dans les raisonnements. Il y a là un blocage digestif au niveau des esprits. Les molécules de Maillard ont été définies au début du siècle passé, elles sont restées quasiment lettre morte jusqu’à leur redécouverte sous le nom d’Advanced Glucation End-products dans les années 1990, notamment de l’acrylamide qui en est l’un des représentants les plus simples.

Blocage digestif des esprits ?

On se souvient avec quelle souplesse la commission d’Oslo chargée en 2000 d’en évaluer les dangers s’est dépêchée de les faire oublier. Et surtout de ne pas alerter le public en avouant que les AGE ne sont qu’une classe parmi les multiples formes moléculaires non naturelles que génère le traitement par la chaleur. Un AGE est par définition un composé réunissant une molécule de glucose à une protéine. Mais ce n’est qu’un cas particulier parmi toutes les combinaisons moléculaires que peut provoquer la cuisson, notamment la cuisson d’aliments mélangés.

Il est vrai que ces combinaisons défient l’entendement. Les biochimistes sont déjà démunis pour donner une liste exhaustive des molécules de Maillard, on comprend leur peu de zèle à passer sur le gril l’ensemble des molécules de toute espèce que provoquent les réactions culinaires. Personne jusqu’ici n’a articulé de chiffre. Il s’agit là, vu la complexité des substrats alimentaires, d’un ensemble incommensurable de possibilités qu’on ne peut traduire en langage ordinaire que par le concept de « désordre moléculaire ».

Un désordre incommensurable

On comprend qu’un tel désordre moléculaire ait le même effet que la suie dans les conduits d’un fourneau : elle l’empêche de chauffer normalement. C’est certainement pour cette raison que l’on observe une meilleure thermogenèse dans le contexte instincto. Avec en bémol une confusion possible chez les débutants : certains grelottent et accusent les aliments froids, ou une présumée difficulté digestive. Alors qu’on constate toujours à plus long terme que ces débuts frigides provenaient de troubles métaboliques encore liés aux accumulations de molécules d’origine culinaire.

Je me souviens d’un émule de l’instincto qui prétendait indispensable, pour se maintenir dans un contexte « originel », de consommer les aliments à au moins 30°, voire 37°C. Ainsi aucune déperdition de calories pour réchauffer le bol alimentaire. Et le sens du goût était, selon lui, mis en défaut par des aliments froids.

Il y a quelque chose d’apparemment logique dans ce raisonnement. Les primates vivant dans la jungle n’ont pas de réfrigérateur, ils consomment la plupart de leurs aliments à des températures de cet ordre. Devrions-nous en faire autant ?

Digestion stimulée

Mes essais personnels ont été rédhibitoires. Je déteste encore aujourd’hui – malgré mon grand âge – consommer des fruits ou des légumes chauds. Ma préférence est une fraîcheur modérée, entre 10 et 20°C. J’ai la sensation que ces températures stimulent la digestion, ce qui m’a été à l’occasion confirmé par un médecin qui pratiquait lui-même l’instincto depuis une trentaine d’années. Est-ce le résultat d’un conditionnement ? Peu problable, vu que s’il y a eu conditionnement, il s’est produit principalement avec des aliments cuits consommés chauds pendant mes trente ans de culivorisme impénitent.

On parle d’un effet de releveur de goût qu’aurait le froid, notoire par exemple lors de la consommations de glaces ou de frappés. Le froid aurait alors pour effet de stimuler la consommation et d’augmenter le plaisir, juste à l’inverse de ce qu’affirmait mon interlocutrice. Toutes sortes de légendes circulent à ce sujet, généralement basées sur l’idée que l’aliment froid est plus impénétrable à la digestion.

Je crois qu’il s’agit là d’un calcul simpliste, basé hâtivement sur l’idée que l’estomac doit fournir des calories pour amener son contenu à la température du corps. C’est certainement vrai, mais les faits montrent que c’est l’effet contraire qui se produit. La chose s’explique à mon sens par un apport sanguin stimulé par l’aliment froid, apport qui ne fait finalement qu’activer le travail digestif en accélérant la synthèse des enzymes et la sécrétion des sucs digestifs.

Froid délétère ou stimulant ?

Il est difficile en matière de diététique de se libérer de toutes les croyances qui encombrent l’espace-temps culinaire. De nouvelles modes se lancent régulièrement, lorsque surgit dans un cerveau quelconque une idée d’apparence logique. C’est ainsi que se fabriquent tous les régimes, tous les compléments alimentaires, toutes les gélules miracles, voire toutes les médications naturo ou allopathiques.

La plupart du temps, ces croyances ne reposent sur rien de sérieux, simplement parce que le contexte culinaire génère un nombre à ce point incalculable de contradictions et d’incertitudes, que la première idée venue tombant comme un cheveu sur la soupe ou sur la crème-dessert fait office de bouée de sauvetage.