Vrais bonheurs et faux bonheurs ?

Peut-on distinguer entre vrais et faux bonheurs ? Sur la base de quels critères ?

Il est clair qu’on peut se sentir heureux dans une situation, alors que celle-ci implique des souffrances à venir. Il peut donc exister de faux bonheurs. Ils sont par nature d’autant plus pernicieux que l’on aura tendance à s’y complaire et à s’y attacher, ébloui par les apparences et les jouissances immédiates. La déception ou les séquelles seront d’autant plus douloureuses que l’on aura cultivé l’idée d’être heureux et que le temps de l’illusion se sera prolongé.

Prenons l’exemple d’un fin gastronome addicte des restaurants trois étoiles. Assis devant une table couverte d’une nappe soyeuse et de services de grand style, dégustant les préparations savantes d’un grand chef, il peut se sentir heureux. Un vrai moment de bonheur, qui illuminera sa journée d’un souvenir impérissable. De quoi recommencer chaque fois que son temps et son argent le lui permettent. Pourtant, sa félicité est minée par le simple fait que les aliments cuisinés, quel que soit l’art des maîtres queux, sont bourrés de molécules dénaturées. Ce sont même des molécules de Maillard particulièrement toxiques et cancérigènes qui donnent aux aliments leurs saveurs de grillé les plus fascinantes. Son bonheur du moment cache une pollution moléculaire qui, à long terme, conduira son organisme à toutes sortes de troubles : indigestions, grippes, cancers, infarctus, avec pour particularité qu’ils sont imprévisibles et le plus souvent imparables.

Un faux bonheur repose généralement sur une ignorance, ou pour le moins sur une occultation. C’est une loi générale, car si l’on est conscient du fait que les aspects favorables de l’instant sont porteurs d’un facteur pathogène quelconque, on ne peut pas véritablement se sentir heureux. Peur ne rime pas avec bonheur.

Un vrai bonheur ne peut se vivre que dans le respect des lois naturelles. Une loi naturelle est par définition une condition à respecter pour éviter la survenue de souffrances. Tout bonheur reposant sur la transgression de lois naturelles est donc un faux bonheur, vu qu’il recèle une promesse de souffrance.

Le problème se ramène en fin de compte à la connaissance des lois naturelles. Et, comme on ne peut jamais être assuré de les connaître toutes : à une attitude de recherche des lois naturelles que l’on transgresserait sans le savoir. Conclusion du syllogisme : le vrai bonheur n’est possible que dans un état d’interrogation face aux infinis mystères de la vie.

De même, il n’est possible que dans une attitude d’honnêteté, car il ne suffit pas d’occulter une loi naturelle pour échapper à son verdict. Pire : il suffit de l’occulter pour éprouver un sentiment d’angoisse ou de culpabilité. D’angoisse parce que l’on sait en profondeur que transgresser cette loi naturelle nous vaudra une souffrance, et de culpabilité si l’on est conscient d’appartenir à un grand Tout dont l’on foule aux pieds certaines principes éternels.

Or, la culture consiste à dépasser les lois naturelles afin d’échapper aux inconvénients de la vie naturelle. Elle procède de toute une série d’artifices et de certitudes, destinées à nous assurer la sécurité, le confort, la connaissance, le pouvoir. C’est du moins le cas de notre culture prométhéenne : maîtriser la nature, la connaître dans tous ses recoins afin d’en retirer tous les avantages désirables, quitte à transgresser certaines de ses lois.

Une telle culture se mine progressivement de toutes les transgressions qu’elle accumule. Elle se complique de cercles vicieux de plus en plus enchevêtrés dont elle devient prisonnière. L’invention de la première arme a sans doute apporté un bonheur à ses utilisateurs. Elle leur a garanti la sécurité et la maîtrise d'un territoire. Puis d’autres s’en sont équipés à leur tour, jetant les bases d’une course aux armements qui aboutit aujourd'hui à la plus grande insécurité de tous les temps.

L’invention de l’agriculture a elle aussi produit de nombreux bonheurs : enfin la sécurité alimentaire ! Plus besoin de se déplacer pour aller chercher sa nourriture. Merci à Déméter de nous avoir donné la charrue, à Prométhée de nous avoir donné le feu ! Alors que ces innovations d’abord réjouissantes ont conduit à une servitude sans précédent des travaux de la terre, à une explosion démographique, à des problèmes politiques insolubles, à tous les maux de la sédentarité, à une dégradation de l’humus et des ressources, à une perte irréversible de biodiversité, aboutissants qui menacent aujourd’hui la biosphère et l’avenir même de l’humanité. Mais nous sommes en même temps dépendants des techniques qui nous ont promis la survie, prisonniers d'un dilemme dont nul ne sait trouver la solution.

C’est en fait une loi générale qui veut que tout faux bonheur se double d’un cercle vicieux. L’artifice qui permet d'y accéder transgresse une loi naturelle, les avantages obtenus deviennent une habitude, y renoncer serait ressenti comme une perte, ainsi s’installe une dépendance, et la trangression des lois naturelles garantit le préjudice.

Si l’on y regarde de près, chacune des pièces détachées de la gigantesque machinerie que nous appelons notre civilisation constitue un cercle vicieux. On nous apprend à être fiers de tant d’inventions, à croire en un Progrès libérateur, et nous nous retrouvons prisonniers d'un système que nous ne maîtrisons plus.

Cette évolution paraît irréversible, elle nécessiterait de la part de ses victimes d’abord une prise de conscience des mécanismes qui sont en jeu, puis un effort de renoncement pratiquement insoutenable tant les habitudes sont fortes. Plus que des habitudes, il s’agit souvent de lois de la concurrence qui resserrent encore davantage le nœud gordien.

Exemple : l’automobile. Quel bonheur de pouvoir se promener sur des distances fantastiques sans faire le moindre effort. Enfin la campagne et ses beautés mises à la disposition de tous. Gros avantages aussi sur le plan professionnel, déplacement facile jusqu’au lieu de travail, transport des objets simplifié, fini les cahots et les crottes de cheval sur les routes. Automatiquement, les voitures se multiplient, avec toutes les conséquences que nous connaissons : les villes deviennent invivables, la pollution pourrit l’atmosphère, il faut partir toujours plus loin pour trouver un peu d'air respirabl. Mais renoncer à la voiture représente une perte d’efficacité, un affaiblissement par rapport aux concurrents, nous nous retrouvons prisonniers de la fantastique invention. Le bonheur insouciant des conducteurs émancipés n’a duré qu’un siècle.

Un nouvel artifice nous promet le rachat de nos fautes : tout le monde s’enthousiasme pour la voiture électrique, son taux de carbone, son silence, ses accélérations. Puis l’on s’aperçoit que le gain écologique n’est que partiel et sera vite dépassé par la généralisation de la nouveauté. Mais le bonheur de rouler est le plus fort, le renoncement d’autant plus impensable, ou réservé à de rares écolos décrétés avant-gardistes ou névrotiques suivant la longueur de leurs cheveux.

Voilà donc un triste constat : notre culture est une collection de faux bonheurs. Le contournement systématique des lois naturelles nous voue à une prochaine apocalypse. Et rien ne dit que la proximité d’une catastrophe écologique sache convaincre ses artisans de changer à temps leur modèle de vie. Qui veut donc le premier perdre des avantages, que chacun a l’impression de devoir lâcher avant les autres, vu que tous ne peuvent les lâcher en même temps…

Peut-être une petite solution dans un coin du ciel : redécouvrir les vrais bonheurs. Le bonheur de manger nature, le bonheur de marcher à pied, le bonheur de revoir les étoiles brillantes comme avant la pollution, le bonheur d’admirer une nature non dégradée par le béton et les antennes, le bonheur de se baigner dans une eau de rivière qui ne pue ni la vase ni le chlore… Le bonheur aussi d’admirer le miracle sans égal du monde vivant, cette incroyable déclinaison de formes, de couleurs et d’astuces que nous a livrée l’évolution.

Et plus encore que ces bonheurs physiques, le bonheur métaphysique. Retrouver l’accès aux Essences, aux vérités éternelles, à un Au-delà qui nous enchante, à un Dieu qui réponde à nos appels et nos interrogations… Pour commencer, redécouvrir les lois naturelles de l’Amour, et des énergies transcendantes dont il devrait être la source. Redécouvrir à travers ces énergies subtiles les facultés métapsychiques, sans lesquelles la communication avec le Transcendant reste lettre morte...

Refaire du vrai bonheur notre paradigme, c'est réhabiliter les lois naturelles dans tous les domaines, du plus simple et plus matériel au plus subtil et mystérieux.

On commence quand ?

Vos questions me le diront…