Reich et orgone

On cite souvent les écrits de Reich sur l'orgone comme une sorte d'équivalent à la métapsychanalyse. Certaines différences fondamentales méritent pourtant d'être soulignées.

 

Si Reich avait vraiment disposé, au cours de ses expériences, d'une énergie transcendante comme c'est le cas avec la méta, il aurait vu se développer des facultés extrasensorielles, voyance ou autres. Et cela de manière assez explosive et fréquente pour y prêter garde, comme cela a été le cas autour de moi depuis 1976. D'après tout ce que j'ai pu lire, il s'est contenté d'essayer de prouver la présence de l'orgone par des modifications de paramètres physiques, mais ne parle pas des phénomènes paranormaux qui sont en rapport direct avec l'énergie métapsychique. La différence doit tenir à des raisons précises.

 

L'une d'entre elles pourrait être la conception même de la sexualité : pour Reich, le fait que les mouvements pelviens deviennent automatiques lors du coït correspond au summum de la puissance orgastique, source essentielle de l'orgone. Les très nombreux témoignages que j'ai pu collecter m'ont finalement convaincu du contraire : le coït représente plutôt un danger de dérapage sur le plan biologique, avec activation de l'attachement, de pulsions de rejet, et de souffrances diverses, plus la perte des fonctions extrasensorielles (voir l'Enfer de Bosch, qui nous enseigne exactement la même chose). Investir délibérément dans les mouvements pelviens est encore plus animal, c'est le passage garanti au plan reproductionnel. Bosch l'a bien compris si l'on en juge par le devenir des petits lapins du paradis dans le panneau de l'enfer.

 

Il y a aussi chez Reich ignorance de la dynamique triangulaire (bien qu 'il remarque qu'une relation extérieure peut occasionnellement réactiver la vie de couple). Toute la complexité des rapports naturels entre hétéro et homosexuels (inévitables dans une constellation triangulaire) lui échappe complètement. On ne peut pas traiter de manière exhaustive la question de la sexualité humaine si l'on ne prend pas en compte toutes les pulsions qui la constituent. Reich a considéré l'homosexualité comme une tare ou comme une compensation, alors qu'elle est partie intégrante du programme pulsionnel propre à l'être humain. D'où un biais magistral.

 

Il n'a pas non plus pu prendre en compte le carambolage qui se produit à la puberté, entre les pulsions refoulées propres à la dimension métapsychique de la sexualité, et les nouvelles pulsions reproductionnelles. Or, c'est là que se joue l'essentiel. Toute l'énergie pulsionnelle restée en attente pendant l'enfance se précipite dans les pulsions d'ordre biologique propres à la procréation, leur donnant une prégnance démesurée. La magie que l'enfant attendait de l'amour se projette sur le coït et fait naître une obsession de la pénétration qui écrase bien vite la subtilité des pulsions dites polymorphes (notamment homosexuelles). Toute notre culture est fondée sur cette confusion, c'est aussi pourquoi l'amour conduit beaucoup plus à faire des bébés qu'à développer des facultés extrasensorielles.

 

La quête assez dérisoire de Reich dans le sens de prouver l'existence de l'orgone à travers des condensateurs à orgone, ou des canons à orgone censés faire évaporer ou apparaître les nuages, pourrait bien être une compensation au manque d'énergie métapsychique authentique dont il a pu souffrir. Il pressentait à juste titre un rapport fondamental entre sexualité et développement d'énergies supramatérielles, mais faute de les voir se manifester comme elles l'auraient dû, a transposé sur le plan matériel ce qui aurait dû se jouer sur un plan supramatériel.

 

Influencé par l'image très matérialiste de l'amour qui s'installait dans la culture de l'époque, notamment du fait de ses accointances avec Freud dans les premières années, il a confondu l'Éros sacré que nous enseigne par exemple Bosch, avec la sexualité animale. Il a certes distingué dans ses écrits une puissance orgastique authentique et une puissance éjaculatoire propre à nos pulsions animales. Mais il n'a pas su pousser cette distinction jusqu'à la remise en cause de la place qu'occupe le coït dans l'image courante de la sexualité, tout comme Freud l'a fait en confondant les pulsions polymorphes (propres à l'Éros sacré) avec des plaisirs préliminaires censés aboutir à la pénétration. Cela suffit à expliquer l'incapacité dans laquelle il s'est trouvé de disposer autour de lui d'énergies métapsychiques en suffisance, qui se seraient manifestées par toutes sortes de phénomènes extrasensoriels. De plus, influencé par la physique très matérialiste de son temps, il s'est mis en tête de mettre en évidence l'énergie qu'il pressentait à travers des manifestations d'ordre matériel, qui ont marqué ses contemporains par leur caractère dérisoire et lui ont valu son discrédit.