L'extrasensoriel : ça sert à quoi ?

Pour les uns, l’extrasensoriel n’est qu’un sous-produit de superstitions, un résidu de croyances archaïques sans fondement, un héritage encore mal nettoyé du temps des sorcières. D’autres y voient des pouvoirs exceptionnels réservés à de rares médiums, dont la validité reste douteuse, souvent l’objet d’une exploitation éhontée. Pour d’autres encore, il ne s’agit que d’illusions, de coïncidences, d’interprétations hâtives, voire de pures escroqueries ne reposant sur aucun phénomène réel.

Où en est donc la Science ? On compte un nombre impressionnant d’études dûment documentées, réalisées dans le cadre universitaire, en principe aussi fiables que les études portant sur les phénomènes matériels. Ces études ne laissent aucun doute sur l’existence de phénomènes paranormaux. Bizarrement, elles se font régulièrement oublier du public. La zététique, version moderne de la chasse aux sorcières, en est peut-être responsable. Ou plus généralement les philosophies matérialistes qui ont imprégné notre culture depuis quelques siècles. La pensée dominante veut que l’on parvienne à tout expliquer sur une base matérielle, à partir de particules et de champs de forces. Les phénomènes qui ne se laissent pas réduire à cette herméneutique cartésienne sont l’objet d’un déni systématique. Ce qu’on ne peut pas expliquer n’existe pas.

On trouve bien sûr dans le présumé paranormal de nombreux cas de méprises, de simples coïncidences, de fraudes. Les détracteurs y puisent de quoi alimenter leurs diatribes. Il en reste dans les esprits un climat de méfiance qui fait vite passer du simple esprit critique à la dénégation sans condition. Il suffit pourtant de quelques cas avérés, attestés scientifiquement – et il en est une kyrielle – pour prouver que le « surnaturel » est une réalité. En fait de surnaturel, il faudrait plutôt parler de phénomènes naturels échappant à notre paradigme réductionniste et à ses explications positivistes.

Carl Gustav Jung a su décrire mieux que quiconque la quintessence des phénomènes métapsychiques. Pour expliquer leur rareté, il s’en prenait au culte de la Raison, grande égérie de notre civilisation occidentale, orgueilleuse au point de rejeter ce qui n’est pas de son ressort. Ce n’est pas parce qu’un phénomène n’est pas explicable rationnellement qu’il est inexistant. Dans son dernier ouvrage, Essai d’exploration de l’inconscient, Jung nous rappelle que « les rêves et les visions sont les voies par lesquelles Dieu a toujours parlé aux hommes ». Il est vrai que, de nous jours, ce Dieu est plutôt muet.

C’est en fait la rareté des manifestations paranormales qui génère le problème. De même que leur reproductibilité récalcitrante. Il ne suffit pas d’invoquer des visions ou des rêves pour qu’ils répondent à l’appel. Or, le propre de notre science est de reconnaître comme réels uniquement les faits observables et reproductibles. L’extrasensoriel répond à peine au premier critère, et pas du tout au second. C’est du moins ce que l’on croit généralement.

Et s’il devait en être autrement ? On trouve dans le vocabulaire de toutes les langues de nombreux mots désignant ces phénomènes. Charme, enchantement, ravissement, magie, envoûtement, ensorcellement, sort, incantation, magnétisme, mascotte, amulette, philtre, fluide, influence et bien d’autres qui impliquent étymologiquement l’existence de forces surnaturelles. Même « enthousiasme » dérive du grec « souffle en Dieu ». L’explication rationaliste veut qu’il ne s’agisse là que de survivances d’une ère précritique. Nos ancêtres ne connaissaient pas les règles de l’objectivité, ils invoquaient des anges ou des démons chaque fois qu’ils assistaient à un fait inexplicable. Depuis que l’on sait tout expliquer, ces entités douteuses sont rangées au placard.

Autant de rémanences sémantiques pourraient a contrario s’expliquer par une perte généralisée des facultés métapsychiques. Je tombais tout à l’heure sur une vidéo d’ARTE : « Demain tous crétins ? ». Un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry De Lestrade faisant état d’une baisse progressive du QI mondial. On assiste parallèlement à une explosion des troubles neurologiques. Accusées : les molécules issues de l’industrie chimique perturbant les fonctions cérébrales. Donc des molécules étrangères au fonctionnement naturel de l’organisme, perturbateurs endocriniens ou autres. Les chercheurs semblent n’avoir pas encore pensé à ce fait pourtant évident : que nombre de molécules produites lors des réactions chimiques culinaires, ou apportées par des aliments étrangers à la palette alimentaire naturelle de l’homme, sont elles aussi étrangères au métabolisme et susceptibles de provoquer toutes sortes de troubles.

Il a fallu des siècles pour que l’on se rende compte que le gluten du bon pain quotidien est un excitant du système nerveux, impliqué notamment dans l’hyperactivité et la schizophrénie. Encore en 1972, alors que je donnais ma première conférence sous le titre un peu tapageur « Le blé et le lait, deux tabous qui nous tuent », attaquer ces deux piliers de l’agroalimentaire faisait scandale. Les boulangers et laitiers de la région tentèrent de m’envoyer la police pour annuler la soirée. J’ai été violemment pris à partie par un médecin. Assis au premier rang, il s’est levé et tourné vers la foule pour prendre la parole à ma place et ramener le public à la raison. Depuis là, les études se sont multipliées démontrant que nombre d’autres molécules, en particulier parmi les AGE (donc résultant des combinaisons du glucose avec des protéines sous l’effet de la cuisson) sont neurotoxiques et provoquent toutes sortes de perturbations. La descente vers le crétinisme aurait donc commencé avec l’agriculture et l’art culinaire. Mais personne n’ose le dire.

Il n’y a pas que le QI. Le monde scientifique n’a pas pensé non plus que des désordres apparemment mineurs du système nerveux pourraient provoquer une baisse du « QM », pour « quotient métapsychique ». Les facultés extrasensorielles sont rares, on peut logiquement supposer qu’elles sont fragiles et que des désordres cérébraux peu apparents suffisent à les inhiber. D’où une hypothèse parfaitement justifiée : que l’humanité aurait perdu les facultés extrasensorielles dont elle disposait à l’origine depuis qu’elle s’administre une alimentation contre nature.

Cette hypothèse, bien sûr, dérange. C’est tout l’orgueil de l’homme moderne qui est en jeu. Admettre que nos brutes d’ancêtres, que l’on dessinait il y a peu de temps encore sous des traits hirsutes et stupides, nous auraient surpassés dans un domaine auquel nous n’avons simplement plus accès à cause de troubles cérébraux dus a ce fleuron de la culture qu’est la gastronomie... voilà qui dépasse notre potentiel de modestie. Il est pourtant de bonnes raisons pour le penser.

La préhistoire, la mythologie, même la Bible laissent augurer que l’homme primitif aurait été supérieur à l’homme moderne. Bien sûr qu’il n’avait pas le gaz, ni l’électricité, ni l’automobile, ni les satellites pour se faciliter l’existence. Mais il n’avait pas non plus la poudre à canon, les missiles à longue portée et la bombe à hydrogène pour en faire un enfer. Sans oublier la pollution. De quoi se demander si nous avons gagné au change. Et ce que l’on oublie dans ce genre de comparaisons : peut-être disposait-il de facultés qui conféraient à son existence un sens et une félicité que nous ne savons plus nous représenter. De quoi expliquer le sentiment général de frustration qui nous fait courir après les choses et les illusions.

Rien ne vaut les faits d’observation : dans un contexte alimentaire proche de celui de nos ancêtres préculinaires, j’ai assisté à une véritable explosion de facultés extrasensorielles. Ce simple fait s’accorde avec notre hypothèse. Les troubles cérébraux induits par la nourriture traditionnelle, cuisson, céréales, lait etc. perturberaient le fonctionnement naturel des facultés extrasensorielles. Ce qui ne veut pas dire qu’il échoue nécessairement chez tout un chacun : les médiums feraient exception, échappant à la règle pour des raisons qui restent à déterminer. Ni que le retour à une alimentation naturelle suffise pour en garantir le développement, et surtout pas le développement complet. Pour s’en faire une idée, il faudrait savoir comment se présentent des facultés extrasensorielles pleinement épanouies. Et savoir aussi quels sont les processus qui président à leur développement.

J’ai pu observer pour ma part une émergence très systématique de facultés de voyance sous une double condition : le respect des lois naturelles de l’alimentation – telles que définies par l’instinctothérapie – et le respect des lois naturelles de l’amour – telles que définies par la métapsychanalyse. Parfois aussi d’autres facultés, mais de manière beaucoup moins régulière. Je peux faire remonter ces observations à ma propre adolescence, alors que je venais de vivre un amour d’une intensité peu commune. Au jour même de mon 13e anniversaire, j’ai été surpris par trois « sorties de corps », ou « voyages astraux », m’apportant des informations qui se sont parfaitement vérifiées par la suite.

Quelques mois plus tard, une autre vision m’a permis d’assister, en temps réel, à la mort imprévisible d’un ami de mes parents dans un hôpital situé à des kilomètres. Ces quatre premières expériences me sont restées comme une balise me rappelant l’existence de ces facultés, alors même que mes études de physique et mathématique m’installaient dans le bain froid du positivisme. Plus encore que la vérification factuelle, c'est la sensation d'une énergie transcendante, bien plus prégnante que celle d'un affect quelconque, qui m'avait comme transporté par magie lors de ces sorties de corps. Un état de conscience fait d'émerveillement, rappelant la transe amoureuse, et ouvrant le cœur vers le ciel.

Mais l’avenir me réservait des surprises. Une fois jetées les bases de l’instincto, c’est ma propre femme qui a commencé à avoir des visions annonçant certains événements importants, à partir de 1968. La chose s’est précisée chez une personne qui m’était très proche en 1973, puis en 1976 s’est produite en quelques jours une véritable explosion de facultés chez la plupart des membres du groupe qui s’était formé autour de notre couple. Par la suite, les « branchements » n’ont jamais cessé de se produire, notamment dans le nouveau groupe de Montramé. Même pendant et après ma longue absence forcée, bon nombre de personnes qui vivaient l’instincto et l’amour selon certaines règles naturelles, apparues de manière de plus en plus précise, se sont vues dotées des mêmes facultés de vision, jusqu’encore tout récemment.

La multiplicité et la répétitivité de ces faits d’observations donnent à penser qu’il s’agit d’un phénomène authentique, et non d’une série de hasards. Si l’on compare avec ce qui se passe au cours d’une existence « normale », cela ne fait aucun doute. Je n’ai connu personne qui ait assisté à une centaine de branchements médiumniques dans son entourage. Je ne crois pas que rien d’analogue ait pu être constaté, je n’en ai en tout cas jamais vu mention dans les recherches en parapsychologie. Il faut donc se demander ce qui est particulier dans les cas présents, en quoi ils diffèrent au niveau du mode de vie ou du mode de relations ordinaire. Or, ce qui caractérise les personnes ici concernées, c’est le type d’alimentation et le type de vécu amoureux.

Tout cela se trouve détaillé dans mes deux derniers livres, Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch et Essai sur la théorie de la métasexualité. Rappelons tout de même que l’instinctothérapie consiste –pour des raisons d’adaptation génétique – à se nourrir d’aliments aussi proches que possible de ce que consommaient nos ancêtres préculinaires, voire nos ancêtres primates, et d’obéir aux indications des sens, qui s’avèrent capables dans ces conditions d’assurer un excellent équilibre nutritionnel. La métasexualité, s’inspirant elle aussi des instincts innés, plus transparents grâce au meilleur fonctionnement du système nerveux dans ce contexte alimentaire, vise à définir les lois naturelles du comportement amoureux. Les critères invoqués pour délimiter les lois naturelles sont, en matière d’alimentation, l’absence de troubles de santé et le bon développement de l’organisme, en matière de relation amoureuse l’absence de souffrance morale et le développement des facultés extrasensorielles.

Combien de visions ai-je observées et interprétées au cours de cette aventure ? J’en ai compté chez la première « sensitive » plus de quatre cents en une soirée. Je les notais toutes, tant les images me paraissaient surprenantes. A priori, j’ai même pensé que cette personne devait avoir un quelconque trouble psychique, une forme exacerbée d’onirisme. Mais peu après, un jeune homme a commencé à visionner à son tour, à la même cadence, décrivant exactement le même type d’images. Puis encore plusieurs autres visionnaires, jusqu’au total de dix-huit.

Il s’agissait donc d’un phénomène caractérisé et parfaitement reproductible. Puis la file des visionnaires s’est allongée (jusqu’à dépasser quatre-vingts), toujours avec les mêmes types de symboles. Je peux estimer à plusieurs centaines de milliers le nombre de visions que j’ai été amené à analyser sur une cinquantaines d’années. Parfois les images surviennent spontanément, lorsque le sensitif pense à quelqu’un ou à quelque chose, ou s’inquiète d’une situation quelconque. Elles savent aussi répondre à des questions que l’on pose, à propos d’un choix, d’une décision, d’un objet perdu, d’une situation d’avenir. Le rythme entre question et réponse est d’une à quelques secondes, parfois la vision anticipe la formulation de la question, comme devinée par télépathie. La symbolique est souvent empruntée à des contenus cérébraux personnels, mais traduit des valeurs plus profondes que Platon a dénommées « Essences » et Jung « Archétypes ». Il s’agit d’entités chargées de sens et d’émotion en rapport avec le destin, principalement le destin spirituel, des individus, même lorsqu’elles concernent des éléments pratiques.

La première objection voudrait que ces images soient induites par le visionnaire lui-même, soit consciemment soit inconsciemment. Cette explication ne tient pas, car les informations fournies, lorsque la question concerne des contingences inaccessibles, sont parfaitement pertinentes. Tout se passe, dans la plupart des cas, comme si l’on interrogeait une personne de confiance, et que celle-ci réponde en connaissance de cause, de manière parfaitement ciblée. Il peut arriver que l’interprétation soit laborieuse, que la vision reste impénétrable. Dans ces cas, il suffit de poser une nouvelle question pour être aussitôt mis sur la piste.

Une méthode permettant d’éliminer les influences possibles du visionnaire consiste à poser des questions cryptées, en simple ou en double aveugle. Par exemple en numérotant une liste de questions, puis en créant une grille de correspondances aléatoires entre ces numéros et un série de lettres, sans que le questionneur ni le visionnaire ne puissent les connaître. Ainsi, aucune influence n’est possible, ni consciente ni inconsciente. On constate que les visions restent tout aussi pertinentes.

Ici quelques exemples tant soit peu triviaux de réponses à des questions cryptées en double aveugle. Lors de l’achat d’un terrain doté d’un puits : est-ce que ce puits donnera de l’eau en suffisance ? Vision : un canard qui se fait couper la tête ; interprétation : il ne donnera pas assez d’eau pour alimenter notre mare à canard. Deuxième question cryptée : qu’en sera-t-il si on le creuse de 5 mètres supplémentaires : la vision montre des tuyaux de plomberie dans une maison ; interprétation : il donnera assez d’eau pour alimenter une maison. Troisième question : donnera-t-il assez d’eau pour l’arrosage si on l’approfondit de 10 mètres : des lumières au plafond et au ciel, une chambre bien éclairée ; interprétation : le puits est plus performant, cela reste toutefois de l’ordre de grandeur de la maison. Dernière question, en simple aveugle (de manière que le visionnaire ne puisse savoir à quoi pense le questionneur) : une vision peut-elle donner un nombre à deux chiffres ? Réponse immédiate : 18m ; conclusion : le puits en question sera au maximum de son rendement à 18 mètres de profondeur, plus les 4 mètres existants. Reste à creuser ces tonnes de matériaux pour savoir si les réponses étaient fiables… Mais on constate d’emblée que questions et réponses sont parfaitement cohérentes, malgré le cryptage systématique.

Autre exemple d’actualité : devrais-je écrire un article sur un autre thème plutôt que sur celui de l’extrasensoriel ? Vision : une penderie dans laquelle est suspendu un unique costume ; interprétation : je n’ai pas le choix, au fond de moi, je sais que c’est ce travail qui doit être porté à terme. J’ai quelque part le devoir de porter cet habit, c’est-à-dire de témoigner de ce que j’ai pu vivre ainsi que mes proches, en matière de métapsychique. Question complémentaire : arriverai-je à l’écrire comme il doit l’être, la rédaction actuelle est-elle satisfaisante ? Le visionnaire me décrit l'image d'une pyramide construite à l'aide de cubes symétriques, rangés avec précision ; interprétation : l'article est bien construit et évoque le caractère sacré d'une ancienne pyramide égyptienne, donc le retour à une époque où l'extrasensoriel faisait encore partie de la vie. Je pose encore la question : cette interprétation est-elle correcte ? Réponse : un index tendu qui touche une cible en son centre.

Cas amusant qui me revient en mémoire : un « maître » appartenant à je ne sais plus quelle mouvance ésotérique proche du tantrisme nous faisait la leçon sur la manière de pratiquer la méditation sexuelle. J’étais assez impressionné par son langage plutôt emphatique, sa stature magistrale aux grands yeux brillants et son costume éclatant de blancheur. Après son départ, je posai la question à la visionnaire qui avait assisté à la rencontre : que vaut en réalité la pratique sexuelle qu’il enseigne en tant que voie spirituelle ? Réponse immédiate : un pénis en train de déféquer. L’extrasensoriel ne connaît pas la pruderie…

L'essentiel reste cependant difficile à décrire. Jung parle d'énergie numineuse (du latin « numen » = divinité) pour évoquer le contenu de l'Archétype. Reich a forgé le concept d'orgone pour marquer son rapport à l'orgasme. L'aspect symbolique d'une vision n'est que son emballage, en quelque sorte sa projection sur le plan intellectuel. L'Archétype est également porteur d'une émotion, sa projection sur le plan affectif. Mais plus en profondeur, il véhicule ou est véhiculé par une énergie que l'on ressent sous une forme comparable à la sensation de magie amoureuse. Chacun a l'occasion quelques fois dans sa vie de « tomber amoureux ». Il se sent alors porté par une sorte d'enchantement qui est manifestement de la même nature. C'est là d'ailleurs une raison de penser que l'amour, vécu sur ce plan « magique », est de la même nature énergétique que l'extrasensoriel. Donc qu'il existerait une énergie d'ordre métapychique à l'oeuvre à la fois dans l'amour, dans l'extrasensoriel, et dans l'accomplissement spirituel. Ce qui explique du même coup que l'amour puisse présider au développement des facultés extrasensorielles, et ces facultés présider à l'évolution spirituelle.

Mes détracteurs citent souvent une vision qui nous aurait induits en erreur. L’image répétée d’un bombardement par des avions soviétiques nous avait décidés de quitter la Suisse pour le Mexique. Après plus d’une année sous sombrero, le groupe que nous formions s’est progressivement désargenté et démembré. Nous sommes alors revenus en Helvétie, ma famille et quelques amis proches. L’aventure, vue de loin, avait des allures de débandade et tous ceux qui mettaient notre expérience en doute conclurent à l’inanité de l’extrasensoriel. Ou plus directement à la « mauvaise qualité » de nos visions.

La réalité est bien différente : c’est grâce à la dislocation de ce premier groupe qu’il a été possible de faire progresser la connaissance, combien difficile à déchiffrer, des lois naturelles de l’amour et des ses aboutissants métapsychiques. On apprend toujours davantage par les échecs que dans la quiétude des succès apparents. Si le groupe suisse s’était maintenu, nous en serions encore aux hypothèses de l’époque. De même pour la dislocation du groupe de Montramé.

Ce que j’ai compris à cette occasion, c’est que l’extrasensoriel n’apporte pas des réponses directes à nos questions et nos inquiétudes. Il ne nous livre pas les tuyaux que nous en attendons pour réaliser nos désirs immédiats. Il nous conduit sur des voies qui ne sont pas forcément celles des réussites immédiates telles que les convoite notre ego, mais sur celles qui nous seront les plus utiles en termes de destin et d’accomplissement spirituel. Il agit un peu comme un père conscient de l’incapacité de son enfant à prévoir les conséquences à long terme de ses actes.

Parallèlement à ces phénomènes de vision, une autre faculté paranormale s’est manifestée dès les premiers pas de l’instincto : la kundalinî. Celle-ci se ressent sous la forme d’un « frisson sacré », remontant la colonne vertébrale à partir du plexus dit sacré sans doute pour cette raison, puis elle se déploie jusqu’au sommet de la tête pour donner l’impression d’une ouverture spontanée des yeux sur l’inconnaissable. Sa fonction est effectivement d’ouvrir les yeux sur des réalités que l’on pressent, permettant de distinguer le vrai du faux. Loin des certitudes simplistes de l’intellect, la kundalinî apparaît comme une guidance transcendante, dépassant ce que pourraient fournir le mental ou la mémoire à partir de contenus conscients ou inconscients. Elle n’a certes pas le caractère tranché du vrai et du faux tels que les dichotomise la logique du tiers exclu. Elle permet en revanche d’avancer en terres inconnues sans sombrer dans les errements de la recherche intellectuelle. Elle est partie intégrante de ce que Bergson appelle l’intuition créatrice.

C’est grâce à la kundalinî que j’ai, pour ainsi dire malgré moi, démêlé l’écheveau des sciences de la nutrition, empêtrées dans les stéréotypes de l’art culinaire, des habitudes de table et des simplismes biochimiques. Je me souviendrai toujours du jour où ma femme et moi prenions conscience du fait que la gourmandise n’existe pas dans la nature. Pour des raisons tout bêtement évolutionnistes, l’instinct est nécessairement programmé de manière à rendre attirant l’aliment utile, alors que l’artifice culinaire permet de rendre attirant l’aliment inutile ou nuisible. L’obéissance au plaisir conduit dans le premier cas à la santé, et dans le second au déséquilibre et à la maladie. Ainsi la gourmandise s’avérait être une conséquence de l’erreur culinaire. Belle leçon d’harmonie pour nous redonner confiance dans lois naturelles...

Nous constations pour la première fois que la kundalîni est une fonction partagée. Elle intervient de manière cohérente entre les différentes personnes confrontées à une même interrogation. Elle est par excellence le guide indispensable et naturel de la pensée. C’est elle qui, par la suite, a présidé à l’émergence de toutes les hypothèses qui ont balisé notre quête commune : la théorie des maladies vraies et des maladies utiles, celle du virus programmateur de détoxination cellulaire, celle de la carie dentaire en lien avec la toxémie, et bien d’autres qui ont constitué peu à peu l’instinctothérapie. De même pour toutes les étapes qui ont abouti à l’approche révolutionnaire des problèmes de l’amour et du sexe que constitue aujourd’hui la métapsychanalyse.

Le plus merveilleux, dans cette affaire, c’est de constater que la voyance et la kundalinî ont conduit à une conception du paranormal qui fait d’elles non pas des pouvoirs supérieurs réservés à une élite, mais deux fonctions parfaitement naturelles dont chacun devrait disposer. L’état normal est celui qui se met en place à travers le simple respect des lois naturelles de l’alimentation et de l’amour, et cet état normal comprend le développement de ces fonctions extrasensorielles comme le contrepoint naturel des fonctions psychiques ordinaires que sont l’intellect et l’affect. Les pensées et les émotions ne sont rien sans la guidance et les résonances qu’assurent ces fonctions subtiles. C’est à travers elles que notre représentation du monde, la signification de notre existence, la quintessence de nos actions acquièrent leur dimension authentiquement spirituelle. À travers elles aussi que la félicité alimente chacune de nos respirations et nous met en syntonie avec les valeurs éternelles.

Imaginez un monde tel que chacun dispose de ces facultés transcendantes. Les notions de conflit, de malentendu, de divergence d’opinion, de jugement, de mépris, de rivalité, de tromperie, d’égoïsme, de richesse, de séduction, de pouvoir, se videraient de contenu. Une communication omniprésente entre les êtres, un accès permanent aux valeurs essentielles, les réduirait au rang de simples outils inhérents au plan matériel de l’existence, de jeux de rôle parfois utiles pour faire ressortir les défauts et les qualités personnelles. Les décisions se prendraient en commun, en accord avec une harmonie partagée des tendances et des prises de position. Les accusations et les condamnations feraient place à une interrogation commune sur les causes des erreurs commises, dans le sens d’un enrichissement général de la conscience. Le « surveiller et punir » de Michel Foucault perdrait toute consistance.

La recherche scientifique serait inspirée par une intuition créatrice évitant les errements et les rigidités des points de vue. L’art passerait du rôle de substitut à la transcendance qu’il tient aujourd’hui à une célébration des valeurs spirituelles, sans tomber dans les rituels et les dogmes qui font les oppositions entre religions. L’envie toujours insatisfaite de l’objet, de la friandise, de l’argent, de la gloire ferait place à la plénitude d’un amour inconditionnel. Le vécu amoureux et sexuel serait dirigé d’En-Haut et non voué aux aléas du désir. La peur de la mort s’effacerait face à la conscience quotidienne d’une réalité qui transcende l’espace et le temps. Ce serait la fin de la grande Illusion que dénoncent les sages.

Se demander à quoi peut servir l’extrasensoriel n’a guère de sens dans ces conditions. La dimension métapsychique est partie intégrante de la condition humaine. Sa perte signe une condamnation sans appel au vide existentiel, aux lois du hasard, à l’oubli du sens ultime des événements, à l’enfermement dans le mirage d’un monde matériel et matérialiste. L’Enfer de Bosch nous en donne une parfaite illustration dans les dés présidant aux destins livrés aux aléas du mental, et dans le miroir où se reflètent les vaines espérances arrivées en bout de chandelle.

Merci à la Nature de nous restituer l’accès à l’état d’origine, à ce paradis où la chouette visionnaire est centrale, la kundalinî – fontaine de vérité – pointée vers le ciel, et l’amour-énergie omniprésent. Cela au prix de quelques renoncements qui n’en sont pas, et de jouissances plus authentiques que les plaisirs de l’interminable déclinaison d’artifices que l'on nomme Culture...