L'Éros : religion des origines ?

Inspiré d’une question de Hugo Cook : Le paradis perdu que nous recherchons (secrètement) toute notre vie à travers la religion, la spiritualité ou la méditation, serait-il le Jardin des Délices qu’a dépeint Jérôme Bosh ?

Voilà un sujet qui dérangera tout le monde. Les matérialistes, qui rejettent toute spiritualité, les religieux, qui s’en arrogent le monopole, et les ésotériciens, qui ont chacun sa propre recette pour accéder à la transcendance. Pire encore lorsqu'il s'agit de mettre le spirituel en rapport avec l'amour physique. Tous rangent le sexe dans un placard savamment étiqueté : processus biologique voué à la reproduction, abysses du péché de chair hormis le sacre du mariage, soit encore dans l’ombre de méthodes de méditation diversement inspirées de chasteté.

La quête du spirituel remonte aux temps les plus anciens. Elle répond à une profonde aspiration, partie intégrante de la nature humaine. Pourquoi dès lors ne pas la considérer comme un instinct ?

Tout dépend de ce qu’on range dans la boîte aux instincts : certains y voient de simples automatismes semblables à ceux que l’on observe chez les animaux et les opposent aux motions supérieures, spécifiques de l’homme. Cela revient à couper le psychisme en deux : le biologique et le spirituel.

Je crois qu’il vaut mieux miser sur une unité primordiale de l’être, et appeler instinct aussi bien les pulsions automatiques proches des fonctions animales, que les élans complexes engageant pensées et affects spécifiquement humains. Pourvu qu ‘on les retrouve chez chaque individu normalement constitué et dans toutes les cultures, on peut les considérer comme inscrits dans la programmation génétique du psychisme.

L’homme disposerait ainsi d’un « instinct spirituel », ou plus exactement d’un « instinct d’évolution spirituelle », avec les corollaires caractéristiques de tout instinct : motions spontanées visant à sa réalisation, sentiments de frustration s’il reste en échec trop longtemps, fantasmes associés traçant les lignes d’action requises, satisfaction sanctionnant sa réalisation, ici sous forme de félicité, d’un sentiment d’accomplissement débouchant sur le ciel, doublé de pulsions négatives telles que dépit, irritation, angoisse, culpabilité, pénalisant les erreurs commises par rapport à son expression naturelle.

Cet instinct spirituel ayant pour enjeu le sens même de l’existence, l’ensemble des motions qui lui sont associées se manifesteront avec une prégnance toute particulière. Son échec représente une forme de mort spirituelle et suscitera des angoisses d’une intensité comparable à celle des angoisses de mort. Les sentiments de frustration et de culpabilité seront d’une envergure extrême et pourront alimenter par voie de formation réactionnelle toutes sortes d’exactions dirigées contre ce qui sera tenu pour responsable de l’ échec.

En d’autres termes, nous serions programmés génétiquement de manière à ce que nos fonctions physiologiques et psychologiques convergent vers un but qui dépasse leur statut biologique et neuronal, ouvrant la voie à un accomplissement transcendant que l’on sent bien être le sens ultime de l’existence. On comprend alors que l’échec de cet instinct suscite des poussées agressives restant inexplicables faute d’en connaître l’origine première.

Les diverses émergences de cet instinct subtil resteront informelles, énigmatiques, du fait qu’elles ne peuvent être verbalisées ni interprétées en fonction de leur réelle signification, celle-ci dépassant les limites de l’intellect. En particulier dans notre référentiel matérialiste, elles ne peuvent être déchiffrées comme partie intégrante d’un instinct spirituel et se voient refoulées ou déviées dans des chemins de traverse. Comme toute pulsion qui échoue quant à son but, elles prennent des allures compulsionnelles, que l’on retrouve par exemple dans les superstitions, les fanatismes sectaires, les guerres de religion, la chasse aux sorcières, l'homophobie, etc.

Ainsi s’explique également le caractère frénétique des philosophies matérialistes. Toute évocation d’une dimension spirituelle les saperait à la base. On comprend leur vigilance à dénier tout ce qui dépasserait les lois de la matière. Que l’on pense aux zététiciens, nécessairement privés de facultés extrasensorielles sinon comment pourraient-ils adhérer à la zététique dont le but est de dénoncer toute manifestation paranormale ? Il est amusant de voir avec quelle superbe et quelle irritabilité ces chantres du tout matériel attaquent la moindre croyance au surnaturel.

Le rationalisme apparaît en fin de compte comme une forme de défense, au sens psychanalytique, contre une frustration d’ordre spirituel, que l’on ressent inconsciemment. La perte du métapsychique pousse à en nier l’existence avec acharnement. Une façon de se rassurer soi-même : il n’existe que la matière, c’est donc normal de ne rien percevoir d’autre. D’où la puissance du réductionnisme dans notre forme de culture.

On peut s’attendre à ce que certaines motions appartenant à cet instinct spirituel surviennent très tôt dans l’existence, du simple fait qu‘il est essentiel. Dans la mesure où l’on en ignore l’enjeu, ces premières émergences restent difficilement compréhensibles. On traite l’enfant de rêveur, on lui reproche d’avoir la tête ailleurs. Le « magique », par exemple, est considéré comme une caractéristique majeure de la période précoce. Il doit être dépassé pour faire place au stade adulte, par définition raisonnable et objectif. L’enfant croit tout possible parce qu’il n’a pas encore fait l’expérience de ses limites.

Il faudrait au contraire considérer l’aspiration de l’enfant au magique comme une préfiguration du développement de ses facultés métapsychiques. Celles-ci sont en effet de nature « magique » en ce qu’elles transcendent les lois de l’espace-temps et donnent accès aux Archétypes. Ces symboles, que l’on ressent comme des vérités éternelles conditionnant nos destins et donnant à l’existence sa quintessence, sont en effet perçus comme venant d’un autre monde. Aussi bien par le caractère divinatoire de leurs significations que par leur force transfigurative. Certains diront qu’ils sont le moteur des métamorphoses de l’âme. Ils savent changer le cours de nos destinées en fonction de notre volonté de vérité, bien au-delà de nos considération intellectuelles.

On comprend que l’enfant proteste contre tout ce qui dégrade en lui cette dimension naissante. La détruire revient à compromettre son futur développement métapsychique et spirituel. La plupart des pratiques éducationnelles, exercées par des parents qui ont eux-mêmes perdu de vue cette dimension subtile, œuvrent dans le sens d’une telle destruction, pour la simple raison qu’ils ne comprennent pas les motivations profondes de leurs rejetons.

Lorsque le père dit à son fils : « Tu comprendras quand tu seras grand », il désintègre la foi que l’enfant devrait avoir sans ses propres potentialités. Lorsque le petit proteste contre ce qu’il ressent intuitivement comme destructeur, on l’accuse d’être pénible ou mal élevé. Lorsqu’il boude pour marquer sa désapprobation, on le console en lui promettant un jouet, l’amenant à écraser pour un marchandage l’aspiration subtile qu’il cherchait à faire reconnaître.

L’enfant est encore capable d’enthousiasme, au sens que précise l’étymologie grecque : en = en, theos = dieu, athmos = souffle, donc : « souffle en Dieu », c’est-à-dire inspiration insufflée par la dimension transcendante. L’adulte minimise l’importance de ces « engouements », sous prétexte qu’ils peuvent apparaître puérils, irrationnels. Les prémices de l’accomplissement spirituel s’expriment à chaque âge à un niveau conditionné par les étapes de l’apprentissage et les capacités cérébrales.

Les choses se compliquent encore à l’adolescence. Cette fois, le jeune se perçoit physiquement devenir adulte. S’il lui reste un peu d’aspiration au magique, il se heurte le plus souvent à ses pairs qui, par solidarité avec le monde des grands, se croient en devoir de décrier tout ce qui n’est pas rationnel. Intérieurement, la majorité des adolescents conserve cependant une certaine capacité d’émoi pour ce qui pourrait évoquer la transcendance. D’où un conflit permanent entre le modèle auquel l’ado croit devoir se conformer, et d’anciennes aspirations plus profondes rebelles au refoulement. Là est la cause la plus profonde du malaise adolescent.

Dans la plupart des cas, il suffit de quelques années pour détruire les fantasmes de l’enfance, et faire rentrer l’ado dans la norme, celle de l’homme accompli qui sait donner à la Raison la place maîtresse et mépriser tout ce qui serait d’une ordre impondérable. Qui a les pieds sur terre, et pas la tête dans les nuages. Sans que personne ne voie que c’est là que s’enracine le désenchantement du monde.

Pourtant, une existence passée à ne viser que les biens matériels laisse un sentiment de vide, d’inutilité, de non-sens, de frustration. On tente bien sûr de noyer le malaise dans toutes sortes d’activités culturelles, littérature, philosophie, religion, ésotérismes, superstitions, théâtre, cinéma, sport, ménage, gagne-pain, si ce n’est directement dans l’alcool ou la drogue. Ce sentiment d’incomplétude démontre que le psychisme est fait pour autre chose. Nos contingences biologiques sont manifestement programmées génétiquement pour servir de support à un accomplissement spirituel. Sinon nous nous sentirions authentiquement heureux et comblés par une réussite purement matérielle, sociale et culturelle.

Il faut néanmoins se demander dans quelle mesure nos activités culturelles peuvent coopérer à cet accomplissement, ou n’être au contraire qu’autant de substituts stériles et nous faire gaspiller temps et énergie. Dans quelle mesure nous servent-elles de prothèses favorisant notre évolution personnelle, ou nous immergent-elles dans des illusions qui finalement nous condamnent à l’échec spirituel ?

Qu’en est-il par exemple de la philosophie ? Il faudrait plutôt dire « des philosophies », car les voies divergentes sont foison. L’une consiste simplement à nous contenter de notre condition, à faire œuvre de modestie, avec le risque de passer justement à côté de certains efforts de vérité aptes à ouvrir la voie d’un authentique accomplissement. Il y a les philosophies à prétentions métaphysiques, où l’esprit s’égare en mille spéculations sur la réalité ou sur le libre arbitre. D’autres fuient dans le nihilisme, dans le satanisme, dans l’intégrisme.

Sans doute toutes les philosophies ont-elles été créées dans le but de comprendre le vide laissé par la perte de l’accès au métapsychique. Le pari était perdu d’avance, car elles oeuvrent par nature au niveau du discours, donc de l’intellect. Elles sont en fait une fausse promesse de sagesse. Aucun verbiage ne remplacera jamais le contact authentique avec le monde des Archétypes. Au contraire, le jeu sans fin des pensées, le va-et-vient des sentiments ne peuvent que nous en éloigner.

Il faut savoir faire le silence en soi, faire tomber toutes les tensions inutiles, reconnaître pour cela l’inanité du bavardage et des exaltations courantes. Parmi les philosophies, je n’en connais que deux qui œuvrent dans le bon sens : celle de Socrate, centrée sur la maïeutique, l’art de rester en position intérieure d’interrogation, et celle de Platon, son disciple, plus précise sur le rôle de l’amour.

Toute cette affaire se complique singulièrement lorsqu’on sait que la perception métapsychique se développe à travers l’amour, et pire que cela : à travers l’amour physique. C’est une vérité que l’on préfère ignorer, car elle met en cause toutes nos habitudes, nos conditionnements, nos désirs sexuels, nos croyances religieuses ou ésotériques, notre foi dans la morale dominante. Pourtant, aucune analyse ne peut être complète si elle exclut une partie de la réalité. Et la sexualité fait intrinsèquement partie de la réalité humaine. Que ceux qui n’ont jamais péché me lancent la première pierre…

On ne trouve que peu de traces, dans notre culture, de ce rapport fondamental. La plus claire est donnée justement par Platon. Il met d’emblée dans le mille en distinguant deux formes d’Éros : l’un, qualifié de vulgaire, vise la reproduction et le plaisir. L’autre, ou Éros céleste, a pour effet de faire pousser les ailes de l’âme, permettant à celle-ci de s’élever jusqu’aux Essences et de s’en nourrir.

Il suffit de poser l’équation : Essences = Archétypes pour que tout s’éclaire. Platon précise que cet Éros – qui n’a rien de « platonique » si ce n’est d’éviter le désir et le calcul – permet de développer « l’organe de l’âme » qui lui permet d’apercevoir les Essences, et que c’est une faculté commune aux prêtres, aux poètes et aux devins. Il s’agit sans ambiguïté de facultés métapsychiques : accès à la divinité, à l’inspiration, à la voyance.

On peut s’étonner qu’aucun autre philosophe n’ait fait état de la même propriété de l’Éros. Même Aristote, le principal disciple de Platon, n’a pas repris le flambeau. On en trouve cependant une étonnante résurgence dans les triptyques de Jérôme Bosch (début du XVIe), à ceci près qu’aucun exégète ne semble avoir compris le message. Le Jardin des Délices n’est pas autre chose qu’une école des relations amoureuses, déclinées sur trois axes : celui de la procréation, centrée sur le coït ; celui de l’Éros adamite, l’amour tel qu’il était avant la Chute, menant aux facultés extrasensorielles, excluant le coït répétitif ; et le troisième : celui du coït en tant que recherche de plaisir dans la négation de la conception, voie conforme à la morale mais qui conduit selon Bosch à l’Enfer.

Détails du Jardin des Délices de Jérôme Bosch (1500) : l’accès au Divin à travers l’Éros adamite / la Chute en Enfer suite au coït obsessionnel (trou béant entre deux jambes).

À première vue, cette mise au pilori de la sexualité normative paraît aberrante. Le coït est indispensable à la survie de l’espèce, il se situe donc nécessairement au centre de l’activité sexuelle. Ce raisonnement classique néglige pourtant deux points essentiels.

D’abord le fait qu’il existe deux fonctions sexuelles, comme Freud a été le premier à le formuler : une fonction ayant pour but la reproduction et apparaissant à la puberté, et une autre indépendante de l’âge visant à un « gain de plaisir ». Les deux fonctions sont, toujours selon lui, indépendantes, l’une est centrée sur la génitalité, donc le « coït normal » ; l’autre comprend les « pulsions polymorphes », c’est-à-dire l’ensemble des activités centrées sur les différentes zones érogènes hors pénétration. Il a nommé cette fonction « sexualité infantile » afin de préciser qu’elle apparaît dès la naissance – dénomination malheureuse sachant que les pulsions polymorphes sont actives tout au long de l’existence et s'enrichissent avec l'âge.

Situer le coït au centre de l’activité sexuelle conduit par ailleurs à une situation conflictuelle : le coït appartient à l’instinct de reproduction ; y recourir systématiquement pour le plaisir tout en rejetant la procréation, comme c’est le plus souvent le cas, constitue une contradiction fondamentale. Ce point de vue est tellement courant qu’il est difficile de la mettre en question. Une telle contradiction est pourtant susceptible d’affecter l’harmonie fonctionnelle de l’appareil pulsionnel, en provoquant des fixations répétitives sur sa composante biologique.

Mises à part les admonestations de l’Église catholique contre la concupiscence et la pénétration, on ne trouve rien de clair qui aille dans ce sens dans la littérature, si ce n’est dans un ouvrage de Gurdjieff : « Récits de Belzébuth à son petit fils ». Le sage Ukrainien fait dire à l’avatar du Diable que les malheurs de l’humanité découlent directement de la pratique universelle du coït dans la négation de sa fonction procréative. Cette affirmation, d’abord surprenante, prend toute sa signification si l’on comprend que cette centration sur le coït se fait aux dépens des autres pulsions, dont le but est le développement métapsychique. À travers ses obsessions coïtales, l’homme compromet son accès naturel à la spiritualité.

Le tantrisme est peut-être le seul vestige qui nous soit parvenu de cette fonction originelle de l’amour. Il consiste à pratiquer des états de méditation en combinaison avec l’extase sexuelle, dans un but spirituel, notamment dans le but de développer les facultés extrasensorielles. Il est difficile de savoir exactement quels sont les résultats de ces méthodes. Elles ont sans doute pour atout de s’approcher des comportements originels, en évitant la poursuite intellectuelle de la jouissance (l’a-penser) et l’achèvement de l’acte de reproduction (coïtus interruptus).

Le plus sûr reste l’observation concrète. Or, on peut constater que l’amour vécu sur un mode de non-désir et d’innocence intérieure fait régulièrement apparaître, lorsque les circonstances sont favorables, des facultés extrasensorielles chez au moins l’un des partenaires. Aussi insolite que cela paraisse dans un contexte culturel qui occulte complètement le phénomène, il vaut la peine d’examiner par soi-même les conditions qui ont précédé certaines manifestations extrasensorielles. Que s’est-il passé dans les jours ou les nuits qui ont précédé un rêve prémonitoire, ou l’émergence d’une vision ? À force d’y prendre garde, on peut effectivement trouver confirmation aux dires de Platon et de Bosch.

À cela s’ajoute le problème de l’alimentation. Les aliments traditionnels contiennent toutes sortes de substances qui ont pour effet d’exciter le système nerveux. On considère généralement qu’un bon café ou une tasse de thé auront un effet stimulant. Certains chamans utilisent des drogues pour atteindre des états de transe jugés favorables à l’éclosion des « pouvoirs surnaturels ». Mais les faits montrent que l’état naturel, c’est-à-dire l’absence d’excitants alimentaires ou psychédéliques, est de loin plus efficace.

Toute forme d’excitation induite chimiquement, bien que susceptible de déclencher des phénomènes hallucinatoires, n’est pas favorable à l’éclosion des facultés extrasensorielles authentiques. Ce n’est pas en dérangeant le fonctionnement biologique du cerveau que l’on favorise ses fonctions les plus subtiles. Il règne dans le psychédélisme un confusion générale entre hallucinations et visions authentiques, comme ce fut le cas autour de l’utilisation de l’acide lysergique (LSD).

Lorsque l’individu est placé dans des conditions aussi proches que possible de l’état naturel – absence de pression morale, absence de représentations culturelles dégradées de la sexualité, innocence exempte de tout sentiment de culpabilité, absence d’excitants –, les pulsions amoureuses et sexuelles se présentent de manière très différente. Le « besoin » sexuel se normalise, l’urgence pulsionnelle disparaît, de sorte que l’érogénicité sous toutes ses formes se met au service de la « magie amoureuse » et retrouve sa fonction métapsychique.

Il s’agit en soi d’un ECM : état de conscience modifié. Certains le recherchent à travers les techniques de méditation ou l’usage des psychotropes, Mais il constitue simplement l’état de conscience « originel », non dégradé par les avatars de la culture ni par des excitations parasites du système nerveux. Dans cet état premier, l’extase rejoint ce que laisse pressentir son étymologie : la conscience parvient à sortir (ex-) de son état ordinaire (-stase) laissant s’exprimer librement les potentialités métapsychiques, ordinairement paralysées par les tensions inhérentes à la vie courante et aux désordres neurologiques d’origine alimentaire. Ainsi s’éveille spontanément la fonction transcendante de l’orgasme, comme chacun en a plus ou moins le pressentiment.

L’ensemble de notre culture, philosophies, religions et sciences comprises, est fondé sur le deuil douloureux de cette fonction naturelle. Au cours des millénaires, les connaissances, les schémas de raisonnement, les stéréotypes en tous genres sur lesquels s’appuie la pensée, se sont organisés de manière à occulter cette carence primordiale, tentant de recréer un système de compréhension du monde aussi cohérent que possible. Nous en sommes finalement les prisonniers consentants.

Ces quelques éléments permettent de mieux comprendre l’origine de la religion et de la morale. La perte de l’accès métapsychique à la dimension transcendante a inévitablement créé des angoisses existentielles majeures. L’homme et la femme se sont sentis brutalement abandonnés, chassés du Paradis, comme le reflète fort bien l’histoire de la Genèse. À quelques malédictions près, l’Éternel s’est fait muet.

La seule solution fut alors de créer un système de croyances et de rites censés rétablir le contact avec la Divinité : l’autel, le sacrifice, les incantations, la prière, les dogmes, la foi ont peu à peu remplacé la voie naturelle de l’Éros. Ainsi ont émergé au cours de l’histoire différentes formes de religion, comme autant de tentatives de retrouvailles avec la transcendance perdue. Jusqu’à notre religion moderne que sont devenus le rationalisme et l’athéisme. Certains disent encore : « Dieu est Amour », mais la formule exclut implicitement toute manifestation d'ordre érotique.

Il en est résulté une iconographie plus ou moins abondante, marquée par une image des dieux, ou d’un Dieu, qui symbolise la transcendance mais la réduit en fait à une image de l’homme avec ses différentes tares et vertus. Un Dieu vengeur, un Dieu juge, un Dieu d’Amour, dans le judéo-christianisme. Toute une théogonie dans les religions plus anciennes, par exemple chez les Grecs : un Zeus représentant le nous originel (l’intelligence encore connectée au transcendant), aux prises avec les problèmes sexuels que lui vaut son épouse Héra (déjà les problèmes de couple), les nymphes incarnant les différentes positions psychiques de la femme, Apollon représentant l’homme-soleil encore rayonnant d’énergie, Diane la femme-lune en quête de cette énergie, Athéna l’intellect exacerbé suite à la perte du nous, Dionysos (né deux fois), quête alternative de transcendance à travers l’alcool, etc.

Ceci explique aussi l’étrange et ancestrale parenté entre religion et morale sexuelle. Qu’ont donc les prêtres à s’immiscer dans la vie intime de leurs ouailles ? La raison en est simple : le fait même que l’Éros ait pour fonction le développement métapsychique, intrinsèquement lié à l’évolution spirituelle, et que cette fonction puisse échouer suite à certains comportements sexuels, implique la notion de juste et de faux. D’où découle immédiatement une dichotomie entre le Bien et le Mal, donc une morale sexuelle en rapport avec la spiritualité. Le comportement favorable au développement de l'extrasensoriel est ressenti comme bon, alors que celui qui lui est défavorable est répertorié comme mauvais.

Dans le contexte d’excitation sexuelle propre à l’alimentation traditionnelle, donc depuis le néolithique et ses bouleversements agro-alimentaires, la claire compréhension de cette parenté entre sexualité et spiritualité s’est perdue. Les comportements sexuels sont apparus de plus en plus désordonnés, de sorte que les principes moraux ont pu s’élaborer à l’encontre des lois naturelles de l’amour. Par exemple les grands interdits édictés par Moïse contre l’adultère et l’homosexualité.

Déjà là, la confusion entre sexualité humaine et sexualité animale a fait des ravages, les comportements appartenant à la fonction métapsychique de la sexualité, perdue depuis des générations, faisant figure de perversions car ne servant pas à la procréation. Les hommes se sont retrouvés de plus en plus pris en étau entre leurs aspirations inconscientes et des lois liberticides, ne sachant plus où trouver la vérité. Ainsi, la morale qui était faite pour préserver la fonction spirituelle de l’amour a fini par l’exclure de notre civilisation. Notre monde d’aujourd’hui en est encore le triste héritier.

La solution se profile spontanément lorsqu’on postule que l’amour et la sexualité ont, au delà de leur fonction procréative, cette fonction métapsychique essentielle. Cela conduit ipso facto à une morale non plus manichéenne et arbitraire, mais chargée d’une mission précise : celle de nous éviter des erreurs susceptibles de compromettre notre développement métapsychique, notamment en nous évitant de confondre les deux fonctions. Savoir par exemple que l’homosexualité peut jouer un rôle essentiel dans la fonction non procréative, mais que d'en faire une imitation de la fonction procréative (comme c’est parfois le cas dans les milieux gays) est un non sens. Mêmes distinctions en ce qui concerne l’adultère, l’œdipe, le complexe de castration, et bien des points actuellement non résolus du dispositif de sexualité.

Il s’agit en fin de compte de retrouver ce que devrait être la morale naturelle, mission possible vu le critère que trace l’apparition ou non de phénomènes extrasensoriels en rapport avec les vécus amoureux. Un vécu amoureux qui favorise cette dimension s’avère moral, et celui qui la dégrade se révèle immoral. Ainsi se profile une morale indépendante des contingences culturelles ou religieuses, fondée sur l’innéité des comportements et non sur les traditions et les conditionnements. À quoi s’ajoute encore la possibilité, chaque fois que surgit un doute sur le bien-fondé d’un interdit ou d’une obligation, d’interroger l’extrasensoriel pour savoir dans quel sens trancher.

C’est en fin de compte une autre forme de culture qui se dessine, loin des contradictions et conflits interminables inhérents au paradigme actuel. Une culture respectueuse des lois naturelles et capable de réhabiliter les valeurs premières dont la signification s’est perdue au cours des millénaires. Il s’agit non pas d’une construction artificielle fondée sur des bases arbitraires, sur des idéologies plus ou moins avouées, comme le sont bien des philosophies et des prospectives ordinaires, mais d’une reconstruction des valeurs originelles. Ou pour le moins d’une actualisation des potentialités propres à l’être humain, telles qu’elles s’avèrent programmées génétiquement.

De quoi réconcilier le rêve infantile d’un paradis sur terre, le rêve scientifique d’une harmonie universelle, et le rêve eschatologique d’un être humain parvenant à son accomplissement spirituel…