Un lien entre kundalini, PIM et "sentiment océanique" tel qu'évoqué par Freud

Une question de Florence :
 
Y a-t-il un lien entre le Kundalini, le PIM tel que vous l'avez théorisé, et ce que vous qualifiez de sentiment océanique ? ou est-ce encore autre chose ?
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Tout cela forme un tout indissociable. C'est l'expérience qui le montre. 
 
Le mot "sentiment océanique" est de Freud. Il en parle dans la préface à son célèbre ouvrage "Malaise dans la Civilisation". Il a apparemment considéré ce sentiment comme un épiphénomène, lié à des représentations mentales. Ce qu'il décrit renvoie pourtant à un état de conscience modifié, tel qu'on cherche à le développer avec les techniques de méditation, sophrologie, yoga, etc. 
 
L'observation montre que le sentiment océanique est intrinsèquement lié à ce qu'on appelle par ailleurs la "magie amoureuse". Celle-ci est en fait simplement sa composante en matière d'amour. Il semble que l'amour devrait être la voie naturelle d'apprentissage de cet état de conscience. Hors refoulement dû à la morale dominante, chacun le développerait spontanément, aussi spontanément que surviennent les pulsions amoureuses.
 
On constate que le sentiment océanique est incompatible avec l'Ego. Il faudrait plutôt dire que le manque de développement du sentiment océanique, par suite des refoulements amoureux et sexuels, conduit à lui substituer un état d'alerte de la conscience, fait d'angoisse, de sécurisation, de désir, de volonté de puissance, de rejet d'autrui, qu'est précisément l'Ego. 
 
L'Ego ne devrait intervenir que comme un moyen de défense ou de dépannage transitoire lorsque l'individu est mis en danger. Par exemple lorsqu'il se voit refuser la réalisation de l'amour, ou rejeté injustement, ou agressé d'une manière quelconque. Un peu comme une boîte à outils à laquelle on ne recourt qu'en cas de panne ou d'accident.
 
Dans notre forme de morale, la magie amoureuse est dégradée très systématiquement par l'éducation, dès la plus petite enfance, sur les bancs d'école et tout au long de la vie par les chagrins d'amour, par le contexte pornographique, par le discours usuel sur le sexe. Les dégâts les plus irréversibles se produisent dans la période précoce. L'enfant connaît de nombreuses injustices et traumatismes, de sorte que l'Ego est systématiquement hypertrophié, et ne laisse plus de place à la magie amoureuse ou au sentiment océanique. Mais tout donne à penser que, dans des conditions plus proches des besoins et aspirations naturelles de l'être humain, l'Ego serait au placard et le sentiment océanique permanent. Il me semble définir l'état normal de la concience (au sens de normal = naturel).
 
C'est également l'expérience qui montre que vivre l'amour dans un état "océanique" lui permet d'aboutir au développement des facultés extrasensorielles. Le nombre de cas que j'ai pu observer en quelque 50 ans m'a convaincu que ce développement métapsychique est la finalité première des pulsions amoureuses et érotiques, et que la procréation n'en est qu'un aspect transitoire.
 
Il s'agit toutefois d'une forme d'érotisme qui se trouve aux antipodes de ce que l'on appelle "sexualité" dans notre forme de  culture. La morale traditionnelle inscrit le coït au sommet des manifestations amoureuses. L'expérience montre qu'il n'en est rien, et que le coït est au centre des pulsions sexuelles visant instinctivement à la reproduction. Ce sont bien au contraire les pulsions que Freud qualifiait de "polymorphes" qui président au développement métapsychique. Ceci sous réserve qu'elles obéissent à la magie amoureuse et non aux déterminations de l'Ego. 
 
Il fallait absolument, vu la confusion qui règne dans notre culture à ce sujet, distinguer les deux groupes de pulsions et les deux finalités auxquelles elles ont trait. Voilà pourquoi je les ai regroupées dans deux ensembles, soit le programme instinctif reproducdtionenl (PIR) et le programme instinctif métasexuel (PIM).
 
On peut concevoir un enfant soit dans un état de conscience ordinaire (désir, quête de jouissance, excitation), soit dans un état "océanique", qui se reconnaît au sentiment de magie amoureuse et à la présence de manifestations extrasensorielles.  Bosch a manifestement voulu représenter ces deux voies de procréation dans la "fontaine de vie" située au centre de l'arrière-plan de son Jardin des Délices. 
 
Cet étrange monument est en effet divisé en deux parties, une partie inférieure où l'on voit une scène aux allures vaginales esquissant une dynamique triangulaire, et un plan supérieur nécessitant une ascension difficile (les trois personnages aux bras tendus), notamment un enseignement initiatique (les deux hommes de gauche) et un équilibre subtil de la conscience (le couple en équilibre sur la tête).
 
Le PIM ne vise que très occasionnellement à ce type de procréation océanique. Lorsqu'il le fait, il garantit une forme de conception reliée à la dimension transcendante, par exemple accompagnée de visions annonçant le destin de l'enfant à venir. On en trouve peut-être un exemple dans la notion d'Immaculée Conception professée par l'Église catholique. Le PIM vise  beaucoup plus généralement au développement métapsychique. Celui-ci se décline sur deux axes principaux : les facultés extrasensorielles, telles les visions, la claire-audition, l'écriture automatique etc. et d'autre part la kundalinî. 
 
Le kundalnî n'engage pas les sens, contrairement aux facultés dites extrasensorielles, qui traduisent les messages transcendants au travers des différentes formes de perception sensorielle. C'est une fonction autonome que l'on ressent comme un "frisson sacré" remontant le long de la colonne vertébrale et s'épanouissant au niveau de la tête un peu comme s'il illuminait l'esprit et nous ouvrait les yeux. Elle est intrinsèquement liée aux pas que l'on peut accomplir vers la vérité.
 
Bosch nous enseigne la complémentarité de ces deux aspects des fonctions métapsychiques dans la "Fontaine de vie" qui se dresse au centre du Paradis (panneau de gauche du triptyque). La base de cet édifice proprement prodigieux est un iris au centre duquel veille une chouette aux yeux dorés bien éveillés, allégorie des facultés de voyance, sur laquelle s'érige une colonne pointant vers le ciel, à l'étonnement des formes animales situées à sa droite. 
 
Celui qui a vécu ce phénomène métapsychique (on devrait plutôt dire "noumène" car il est lié à la Connaissance avec grand C et non à la connaissance ordinaire liée à la matière), le reconnaît facilement dans cette fontaine de vie paradisiaque, ainsi que dans le motif situé tout à gauche au bas du panneau central : la fraise géante symbolise très intuitivement l'explosion d'énergie transcendante accompagnant sa manifestation.
 
Mais attention : toutes ces facultés ne se développent pas dans une attitude volontariste, qui mettrait en jeu justement leur plus grand ennemi, l'Ego. C'est au contraire une attitude d'humilité, de confiance, d'acceptation de la vérité qui permet à l'amour d'accomplir sa fonction, loin de tout attachement, possession, jalousie, désir ou volonté personnelle. À ce niveau disparaît toute dichotomie entre volonté et obéissance, pour faire place à un sentiment océanique permanent qui efface souffrances et frustrations.